PV Loupio ♪

Je fis tout le tour de la rangée en un peu moins de 10 minutes, trop impressionnée par ces hommes, parfois si jeunes, qui souffraient sans que je puisse les soulager le moins du monde. Je finis par m'arrêter devant le dernier lit, au fond de la tente. Un jeune homme, je dirais dans les 18 ans à peine, avait tout le haut du visage bandé, et des taches de sang transparaissaient sur les bandes blanches à l'endroit de ses yeux. Il se redressa légèrement lorsqu'il m'entendit passer, puis me demanda quelque chose en allemand d'une voix faible. Je devinais qu'il resterait aveugle jusqu'à la fin de sa vie, s'il survivait. C'est pourquoi il me demanda de lui lire une lettre qu'il venait de recevoir. Personne ici ne s'occupait des blessés qui se sentaient seuls, tout ce qu'on faisait c'était...soigner, dans la mesure du possible.

Et vu que j'étais nulle en soins, et trop impressionnable, je passai une bonne demi-heure à côté de ce gamin. La lettre venait de sa fiançée restée à la campagne, en sûreté. Elle lui donnait aussi des nouvelles de leurs familles respectives. Il m'apprit qu'ils se connaissaient depuis leur naissance, et que leurs parents avaient toujours prévu de les marier. Mais ils étaient tombés amoureux, et cela n'avait pas été un problème de décider de s'unir. Ils se marieraient bientôt, si dieu le voulait, et s'il survivait. Arrivée au bas de la lettre, je remarquai plusieurs ligne de ratures à l'encre, comme si elle regrettait d'avoir écrit quelque chose. Je plissai les yeux. Il était difficile de lire, mais au bout d'une minute d'étude des gribouillis, je poussai une exclamation ravie. Ah, enfin un peu de joie et de...oh mon dieu. La main crispée sur mon bras, le pauvre gars venait de rendre son dernier souffle. J'eus du mal à reprendre le mien tellement j'étais choquée. Il n'avait même pas...je n'avais pas eu le temps de lui dire qu'il allait être papa! Alors, c'était ça la guerre? Des allemands à peine sortis de l'enfance, et tellement semblables à n'importe quels autres jeunes au monde, entraînés dans un conflit dont ils ne soupçonnaient même pas l'ampleur?

(Hoon, le gars... :S)

Et alors, on vint me chercher pour aller directement sur le champ de bataille. Mais... Mais non, j'étais pas prêt moi ! J'étais pas préparé, je voulais, je...
Je suivis quand même le général, pour qu'il ne se doute de rien. J'avais la peur de ma vie. Je chiais dans mon pantalon - nan, c'pas vrai, quand même.
Bon, j'allais faire de mon mieux pour tuer personne et ne pas me faire tuer non plus. Et d'essayer d'obtenir des renseignements sur Chriss. J'avais entendu dire qu'un blond étrange venu d'on ne sait où avait été attrapé par un général d'Hitler. J'étais persuadé que c'était lui. Il fallait que j'en sache plus, mais sans avoir l'air de trop m'y intéresser.
Bon, voilà. Une chance que j'étais bon en sports et tout ça, comme ça ça donnait l'impression que j'avais vraiment suivit une formation de soldat. Je suivis d'autres Allemands hors du camp, puis dans des tranchées. Ça m'énervait, je m'éloignais d'Ariane. Et aussi, les bruits se rapprochaient. On arrivait proche du combat. J'aimais PAAAS ça. Soudain, explosion pas trop loin. On se jeta tous au sol par réflexe. Oh bon sang... À L'AIDEEE !

Une nouvelle femme entra dans la tente et s'approcha du mort, notant quelque chose sur son calepin. Je lui tendis la lettre, espérant que l'on puisse l'identifier grâce à ça. Mais avec seulement un prénom, pas grand chose à faire...c'est à peu près ce qu'elle m'expliqua en haussant les épaules, avant de se pencher au dessus du jeune soldat pour lui enlever son bandage. Hein, mais pourquoi faisait-elle ça? Médusée, je la regardai dérouler la bande tâchée de sang puis la tremper dans une bassine posée par terre. Je devinai à l'odeur que ce devait être un mélange d'eau et d'alcool. Et de sang. Alors on était tellement à court de bandages que l'on était obligé de tout récupérer!?

L'infirmière fit le même manège avec les deux ou trois autres cadavres, puis m'envoya étendre les bandages à l'air libre afin de les faire sécher. Je me dépêchai de sortir de la tente, soulagée d'échapper quelques instants à cet endroit lugubre et...beurk! Une fois dehors, je cherchai vaguement Jason des yeux. Pas de traces de lui, sûrement était-il maintenant enrôlé dans une quelconque compagnie de soldats...Tout ce que j'espérais, c'était de ne pas le revoir dans ma tente, au milieu des blessés. Il fallait qu'on revienne intacts tous les deux...trois!

-J'ten supplie Jason, pas de conneries..., marmonnai-je en accrochant les vieux bandages à un fil où s'alignaient déjà des tas d'autres.

Y'avait pas beaucoup de moins à l'époque, sérieusement. L'atmosphère dans les tranchées était horrible. Je veux dire, des soldats étaient blessés, parfois légèrement seulement, et il faisait une humidité accablante. L'odeur était un mélange de sueur et de sang, de mort. Au moins à notre époque, on avait des conditions de guerre un peu meilleures que ça !
Je chargeai mon fusil pour plus de précautions. On ne sait jamais, si je me faisais attaquer directement, je n'aurais pas le choix de répliquer. Une autre explosion retentit plutôt proche de nous. Assez près en fait pour qu'un éclat de je ne sais trop quoi m'entaille la joue au passage. Je serrai les dents: Ça chauffait, mais ce n'était rien de comparable à ce qu'il pouvait m'arriver d'autre ici. Même si j'étais tout propre il y a quoi, cinq minutes, ça n'avait pas prit de temps pour que je sois couvert de sueur et de poussière. M'enfin, c'était pas grave ça non plus. Il ne fallait pas s'attarder aux problèmes mineurs.
Enfin, on déboucha à un endroit où des Allemands maniaient des genre de mitrailleuses ou je ne sais trop quoi. Je compris vite qu'il y avait un camp ennemi non loin en face, et qu'il fallait l'infiltrer. L'un des gars me tendit une grenade et me fit un signe de tête vers les tranchées adverses. Oh putaiin...
Je m'éloignai légèrement pour avoir plus de facilité à bouger. En fait, c'était pas bien dur, de lancer une grenade. Suffisait de tirer sur l'anneau, hop on enlève le tout, et là t'as quelques instants pour la lancer avant qu'elle ne t'explose dessus. Pas bien compliqué. Je m'appliquai à faire mon plus beau lancé, et mon plus rapide aussi, parce que j'avais à peine une fraction de seconde à rester debout avant de me faire viser, et je devais me recacher tout de suite. Cependant, suite au grand bruit et aux cris de l'autre côté, je compris que j'avais visé juste. Arggh...
Quoi ? Pourquoi ils me poussaient dans le dos ? Fallait sortir et... Merde ! Je les suivis, totalement inhabitué à cette foutue guerre de merde. Et voilà, dans la tranchée adverse. Dans mon sac, on glissa toutes les cartes, plans, ce qu'on pouvait trouver d'important dans le petit campement allié. Puis, on me cria de ramener le tout au campement. Ravi de quitter le champ de bataille, je me précipitai le plus vite que je pouvais à l'abri des regards, retournant vers le campement sans me faire remarquer de personne. Je rentrai ainsi sain et sauf de ma toute première journée de guerre. Je ne savais pas trop à qui remettre cela, mais après m'être adressé à quelqu'un, il me dit d'aller voir le général. J'allai donc tout lui redonner - inutile de vous dire combien il fut fier de moi... - et m'appliquai à trouver Ariane ensuite.

(j'ai répondu à l'autre aussi ^^)

Le temps passa très vite, et ce fut bientôt la nuit. Ni les infirmières ni moi ne nous arrêtâmes un instant pour nous reposer ou grignoter quelque chose, trop occupées à suturer, nettoyer ou bander de multiples blessures...ou même à déplacer des corps. J'ignorais ce dont ils allaient faire du tas de cinq corps empilés que nous avions déposé devant la tente de secours, et je n'avais pas vraiment envie de savoir.

La fatigue et l'inquiétude du début avaient finis par s'estomper, à mesure que je manipulais des aiguilles et les différents médicaments dont nous disposions. J'étais même plutôt fière de moi, bien que mes points de suture ne soient pas encore très droits et assez serrés et que j'avais assommé un soldat en lui donnant le double de la dose autorisée d'anti-douleurs. Au moins, et ce pour la première fois dans ma vie, j'étais occupée à quelque chose de vraiment utile. Et croyez moi, après un après-midi dans une tente de secours comme celle-ci, on oublie vite les soldats morts un peu plus tôt parce qu'on est débordée par ceux qui vivent encore. Et débordée, je l'étais! Il fallait me voir slalomer entre les lits, jeter au vol des couvertures sur des soldats frigorifiés ou renverser un verre d'eau sur la tête de ceux qui avaient de la fièvre. C'était pire qu'un jeu de simulation virtuelle où il fallait élever des animaux pouvant crever à tout moment!

(Ouais désolé, quand je l'ai remarqué tout à l'heure j'allais y répondre et là ma mère: Ariaaaaneee viieeeeens te laver les cheveuuuuuux !! TOUT DE SUITEEEE !! ^^" Donc euh... XD J'm'excuse ! :O ^^)

Un soldat m'attrapa par les épaules et, tout en me félicitant pour mon joli tir un peu plus tôt dans la journée, m'entraîna vers les douches. Génial, j'allais me déshabiller et me laver en compagnie de gentils soldats allemands. Super, exactement ce dont j'avais besoin !
N'empêche que je me sentais dégoûtant, alors je l'accompagnai aussitôt. Ce n'est qu'une fois tout propre que j'eus de nouveau meilleure mine. Malgré tout, mes traits semblaient bien plus soucieux qu'à mon arrivée. Les soldats ne posaient pas de questions, ils comprenaient. L'arrivée d'un nouveau aussi jeune était courante, et le gars était souvent troublé au tout début. Mais après, il s'y faisait. Alors, ils m'encourageaient simplement.
J'avais une sale coupure sur la joue, mais outre cela, j'allais bien. Je pris la direction de la tente où, à l'entrée, étaient empilés quelques cadavres. Mmm... Charmant.
À mon entrée, alors que je venais seulement voir Ariane, une femme m'attrapa par le bras et me colla assit sur une chaise pour désinfecter ma blessure. Elle m'expliqua qu'une fois, ils avaient cru cela innocent, ce genre de coupure, mais après avoir laissé le soldat aller sans rien, ni désinfection ni bandage, il était revenu le bras si enflé qu'ils avaient dû l'amputer. Ahhh, mmm... NETTOYEZ-MOI ÇA ET VITEEEE !!

Je venais à peine de recoucher un soldat qui, atteint d'une fièvre inquiétante, délirait à voix haute et courait dans les allées de la tente en trébuchant partout. Hors d'haleine suite à cette course-poursuite épuisante, je m'assis sur le bord d'un lit libre -le seul de toute la tente où personne n'était allongé pour y mourir- puis remarquai enfin Jason. En moins de deux secondes, j'avais bondi du lit dur comme une planche de bois et me précipitai vers lui en souriant largement. J'attendis encore un peu le temps que l'infirmière ait recouvert la blessure de mon amoureux d'un espèce de pansement version antique pour me jeter sur lui et l'embrasser avec fougue. Ben quoi? Il devait bien y avoir des histoires d'amour entre soldats et infirmières, non? Sûrement, vu que la femme qui s'occupait de lui juste avant partit sans manifester la moindre surprise soigner quelqu'un d'autre.

-Tu m'as manqué, soufflai-je à voix basse dans notre langue natale.

- Oh toi aussi tu m'as manqué... Tellement...

Je l'embrassai une nouvelle fois en la serrant contre moi puis passai ma main dans ses cheveux. Elle avait l'air épuisée.

- Dure journée ? devinai-je aussitôt, en repensant alors aux corps dehors.

Oui, elle devait travailler dur, avec tout ces soldats blessés, mourrants, dont elle devait s'occuper avec les moyens de l'époque - c'est-à-dire très peu de moyens - et ce, sans avoir jamais eu de formation d'infirmière. Bon, au moins, elle était loin du danger. Et ça suffisait à me rassurer. L'épuisement, elle était capable de le surmonter. Par contre, oui, il devait y avoir le côté troublant psychologiquement. Je l'accorde.

-Un peu...

Je repensai aux points de sutures, aux lettres pas dizaines que j'avais été obligée d'écrire à la place de soldats qui avaient perdu la vue, aux corps qui s'empilaient devant la tente. J'avais encore les mains pleines de sang, et je n'avais pas pu me rincer la bouche après avoir vomi quelques heures plus tôt. Ouais, faut dire que quand ils avaient voulu que je les aide à amputer un soldat des deux jambes...

-Non, beaucoup même! Chriss me manque..., gémis-je avant de cacher mon visage contre sa veste militaire pleine de poussière.

- Je sais... On va le retrouver, t'en fais pas. Tout va bien aller.

Je raffermis ma prise sur elle, devinant qu'elle avait besoin de ma présence auprès d'elle. J'étais là pour la réconforter. Même si bientôt je devrais sortir et aller rejoindre les charmants soldats pour un court dodo avant de repartir le lendemain matin.

- Je commence déjà à en apprendre un peu, d'ailleurs. Les soldats m'aiment bien...

-Oh. J'espère que tu es prudent...

Je passai doucement mes doigts sur le pansement qui recouvrait maintenant sa blessure. C'était sans gravité pour cette fois, mais je ne voulais vraiment pas qu'il se blesse à nouveau. En fait, j'avais tellement peur pour lui que j'aurais préféré qu'il fasse semblant d'avoir de la fièvre pour rester ici à se reposer sur un lit. Et ensuite, quand tout le monde aurait été couché, je l'aurais rejoint dans le lit et...non, ce que je pouvais être bête, ici, il y avait toujours plein d'activité, même à 2 heures du matin. Bref, de toute façon il valait mieux qu'il s'intègre parfaitement en tant que soldat et reste dormir avec eux.

-Allez, vas-t'en maintenant, ou je sens que je vais vouloir te garder avec moi cette nuit.

J'eus un court rire suite à ses mots et posai un dernier baiser sur ses lèvres avant de la lâcher et sortir de l'endroit. Je suivis quelques soldats que je reconnaissais et allai les rejoindre dans le genre de dortoir. Je me dévêtis, restant en sous-vêtements, et me couchai dans le lit qui m'était réservé. Les soldats discutaient un peu entre eux, je participai seulement pour faire ami-ami et m'attirer leur confiance. Je portai cependant attention à la conversation lorsqu'ils commencèrent à évoquer Chriss.

Après le départ de Jason, je restai un instant le sourire aux lèvres avant de retourner à mon travail. La nuit allait être longue, et je devinais que personne ne prendrait le temps de se reposer tant que tout n'était pas stable du côté des patients. C'est pourquoi, ragaillardie par la visite de Jason, je me mis à m'occuper de ces hommes brisés avec énergie et efficacité. Au bout d'une heure environ, tout était calme. Tous les blessés s'étaient endormis, ou pour certains étaient au bord du comas ou de la mort. En bref, nous pouvions enfin nous reposer. En nous couchant à même le sol avec une couverture élimée et un oreiller plat. Mais je ne me plaignis pas le moins du monde, car dormir, même dans ces conditions là, était un luxe dont j'avais rêvé toute la journée.

- Le général Fichter le détient... Il aurait semble-t-il tenté une attaque contre lui... Je n'en sais pas beaucoup. Mais cet homme était drôlement étrange et venait d'ailleurs. Où ? Personne ne le sait. Il parlait l'Allemand couramment, ainsi que de nombreuses autres langues.

- Et le général, il va en faire quoi ?

- L'exécuter, il parait. Après-demain, au matin, avant que les soldats du campement ne partent au combat. Il veut des spectateurs.

Je pris quelques instants pour digérer la nouvelle. Alors ils allaient tuer Chriss, et ce devant les regards avides de nombreux soldats !? Cela compliquait drôlement la tâche. Il fallait le sauver, mais ç'aurait été préférable s'il avait été seul avec le général ! Devant tant de soldats, oui peut-être allais-je y arriver, mais je doute fort que je puisse en réchapper vivant.
Je me détournai un peu et remontai la couverture sur moi, prétextant que j'étais fatigué et voulait dormir un peu. La conversation continuait sur d'autres sujets moins intéressants, et je préférais réfléchir de mon côté. J'avais une journée. Une journée pour trouver un bon plan. S'il y en avait réellement un.

Le réveil, le lendemain matin, fut difficile. Je me demandai pourquoi la terre tremblait (une bombe?) pendant une bonne minute avant d'ouvrir paresseusement les paupières. La tente était encore plongée dans le noir, seule la lumière faiblarde du matin passant sous la "porte" en tissus. Au dessus de moi, une des infirmières me parlait sans que je comprenne. Oh, dur l'allemand dès le réveil... Au bout d'une minute supplémentaire, il s'avéra qu'elle m'avait secouée pour me réveiller, et que j'avais intérêt à me dépêcher d'avaler un peu de pain dur et de m'habiller avant de commencer ma journée. Je m'exécutai en traînant des pieds, remarquant au passage que la plupart des autres filles devaient être levées depuis au moins deux bonnes heures. Bon, au moins elles avaient compris mon besoin de sommeil...

Me lever ce matin était la chose que j'avais le moins envie de faire. Mais bien entendu, les autres soldats avaient décidé pour moi, et ne s'étaient pas montrés cléments. Ah nan. Debout à la première heure, mesdames et messieurs. J'avais l'impression de venir tout juste de me coucher, d'avoir dormi quoi... quelques minutes à peine ? Je traînai les pieds tout le long du chemin jusqu'à la douche. Mais après une douche froide matinale, ça va déjà un peu mieux. Et quand tu replonges pleinement dans l'action, dans la peau d'un soldat, t'es parfaitement réveillé. Tu saisis à nouveau la gravité de la situation, et te voilà en quelques instants prêt à toute éventualité.
Encore une fois, je suivis les soldats. Je suivais mon petit groupe de près, pour ne pas les perdre de vue et me retrouver complètement... perdu. Surtout si c'était pour être perdu dans le no man's land ou près des troupes ennemies. Ouain. Je tenais quand même à ma vie moi ! Oh... Ils me postaient là ? Quoi ? À la mitrailleuse ? J'allais devoir tirer à répétition sur plein de gens !? Euh... C'est qu'il y en avait pas mal, des téméraires qui s'aventuraient dans ma ligne de tir, en plus... De nombreux ennemis (que normalement j'aurais considéré comme alliés) se trouvaient à portée de tir. Je pouvais peut-être faire comme si je ne les avais pas vus... AH non, un autre soldat me les pointait du doigt. Merde ! Bon, on tir et on oublie tout. Arhh...

Tout en me mettant au travail avec lassitude, je pensais à Jason tout le temps. C'était un petit peu gênant lorsqu'il était nécessaire que je me concentre, mais rien n'y faisait; Je m'inquiétais beaucoup trop pour lui pour pouvoir le laisser dans un coin de ma pensée et me consacrer à autre chose. La première demi-heure du matin fut plutôt dure. Il fallait évacuer les nouveaux cadavres (la nuit avait fait des ravages), et c'était aussi l'heure de nourrir les survivants. Ce qui était plutôt compliqué en soi, car si certains avaient du mal à ne pas régurgiter la nourriture, d'autre avaient le visage tellement abîmé que c'était toute une bataille pour arriver à leur mettre une cuillère dans la bouche. Je finis pas écraser des sucres dans un verre d'eau pour ceux dont c'était le cas, et leur fit boire cette mixture énergétique en me demandant si cela servait seulement à quelque chose.

-Ne gaspille pas de sucre ni d'eau lorsque tu vois qu'ils n'ont aucune chance, commenta au passage une de mes congénères en me voyant lutter pour faire avaler mon invention culinaire exceeeeptionneeeeelle à un type dont les 3/4 du corps disparaissait sous des bandages crasseux.

Ben voilà, il se trouve que j'étais naturellement un excellent viseur. Et ça me faisait mal de voir des gens tomber et tomber à répétition par MA faute.
Heureusement, bien vite je pu bouger de là, et la journée se poursuivit tranquillement - tranquillement mon oeil, ouais ! - sans que je n'abatte plus de 100 personnes. Miracle. Urrk dégoûté.
Finalement, vers la fin de l'après-midi, je débarquai dans la tente en sautillant sur un pied, aidé de deux soldats qui me tenaient chacun un bras. Je me laissai lourdement tomber sur un lit et tentai de jeter mes mains vers mon pied, mais je fus brutalement retenu par les soldats.

- Pas touche. M'dame, quelqu'un !?

J'avais le pied en sang, quoi. Ils m'avaient enlevé mon soulier et ma chaussette était poisseuse et rouge sombre.

Je poussai un cri aigu lorsque Jason entra dans la tente en sautillant, laissant tomber par terre tous les bandages propres que je tenais. Sans même prendre le temps de les ramasser, je me précipitai vers le lit où des soldats l'avaient installé, contemplant son pied avec inquiétude. Mon dieu...j'avais vu cela au moins 10 fois depuis deux jours, et je peux vous dire qu'un des gars avait même du être amputé. Noooooon!

Je lui enlevai lentement sa chaussette, tremblante à l'idée de découvrir un pied à moitié décomposé. Mais c'était dur à savoir avec tout ce sang et cette peau abîmée, c'est pourquoi je décidai de nettoyer tout ce que je pouvais à l'alcool pur. 90° de souffrance, wé! Jason allait hurler...

- Dis toi que, oui ça fait mal, mais t'as été chanceux que ce soit le pied qui soit touché et pas autre chose. T'aurais pu y laisser ta peau, soldat.
- Saletés d'Anglais...
- Maaaaaaal... MAAAAAAAAAAL....

Elle ne faisait que m'enlever ma chaussette et je gémissais, me plaignais déjà fortement. Les soldats devaient me retenir assez fortement, car je gigotais. Je suais à grosses gouttes, haletant et le visage tordu dans une expression de douleur horrible. Lorsqu'elle commença à désinfecter, ce fut bien pire. Je lâchai un hurlement et serrai les draps dans mes deux mains, les tirant, criant bien assez fort pour, je dirais, réveiller un soldat dans le coma ! Et j'exagère à peine. Sans que je ne puisse rien y faire, les larmes m'étaient montées aux yeux. Mais c'était courant. Nombreux se laissaient aller à pleurer librement, incapables de contenir tout cela en-dedans d'eux. C'était pire que tout ce que j'avais enduré jusqu'à maintenant. Et dire que ce n'était que le pied qui était atteint... je n'osais même pas imaginer si un organe vital avait été touché !
Nous avions été attaqués durant l'après-midi. Nous avions fini par fuir avant d'être complètement massacrés, et j'aurais très bien pu y rester. Les balles ne m'avaient pas touché, sauf une seule, qui s'était logée dans mon pied. J'étais tombé au sol, incapable de poursuivre, et si deux soldats ne m'avaient pas aidé, j'y serais mort à coup sûr.

Une fois le pied nettoyé de son sang, je blêmis en apercevant la cause de ce jet abondant de liquide rouge. Je voyais la balle sans avoir à la chercher, coincée peu profondément sous sa peau. Elle n'était même pas ressortie. Je poussai un gémissement désespéré, sachant très bien que si je tentais de l'extraire, Jason allait tomber dans les pommes. C'est pourquoi...bon, excusez moi pour la suite, d'accord? Je me penchai vers lui et essuyai ses joues mouillées pour l'embrasser tendrement. Et ensuite lui abattre une cruche en céramique en plein sur le crâne. Non, nous n'étions pas en train de nous engueuler, c'était juste ma manière à moi de l'immobiliser; Prévenir son évanouissement en le provoquant.

Une fois Jason HS, je demandai gentiment aux soldats qui l'entouraient d'aller manger quelque chose et de dormir, pour me laisser faire mon travail. Mon horrible travail. Extraire la balle me prit cinq bonnes minutes, mais cela n'était pas inquiétant vu que j'étais un peu sous-douée. Disons que c'était difficile car la peau était en quelque sorte soudée à elle, et que je voulais en arracher un minimum. Une fois la balle extraire, je la laissai tomber sur une petite table non-loin du lit et poussai un soupir fatigué en me frottant les yeux. Le problème avec ce genre de blessures, c'est qu'il est impossible de recoudre. Et le sang, maintenant que j'avais extraite cette fichue balle, pissait trois fois plus fort. Indécise, j'hésitai à demander de l'aide avant de conclure qu'il n'y avait qu'une seule chose à faire: nettoyer à nouveau et bander. Ouais.

Disons que ses cinq petites minutes pour extraire la balle étaient bien courtes, face au temps que j'allais dormir. J'en avais pour un moment avant de reprendre conscience, elle n'avait pas à s'inquiéter de ce côté-là. Et puisque je ne sentais plus la douleur pendant ce temps-là, elle n'avait pas à se soucier de me blesser, et n'avait pas non plus à supporter mes hurlements terrifiants. Je restai bien sagement calme et détendu - que vouliez-vous que je fasse d'autre !? - couché sans bouger sur le lit. Même lorsqu'elle eut terminé l'opération complète et bandé mon pied soigneusement, je ne me réveillai pas. Bah, ça pouvait être bénéfique, qui sait. Au moins, je ne souffrais pas. Pas encore. Ariane aurait un petit répis avant de m'entendre à nouveau crier, soit quelques heures tout au plus, peut-être. Le problème, à cette époque, c'était le manque flagrant de moyens pour calmer la douleur, soigner de façon approprié les blessures majeures... Ouais.

J'aurais vraiment adoré rester aux côtés de mon nouveau patient le plus important, mais il se trouve que j'avais d'autres services à honorer. Le quitter fut pénible, mais je finis par m'y résoudre en me disant que de toute façon, je serais vraiment proche s'il lui arrivait quoi que ce soit ou s'il se réveillait. Ouais.

J'allai donc m'occuper de la toilette matinale des soldats, extrêmement concentrée tout en passant un unique gant humide sur le corps des dizaines de blessés. En plus de les nettoyer sommairement, je devais aussi relever leur température, poser des questions à ceux qui venaient de sortir du comas, recoudre les points qui avaient lâché...bref, ce n'était pas de tout repos!

Lorsque je me réveillai, au bout de deux heures environ, je me sentais beaucoup mieux que je ne l'aurais cru. Outre l'horrible douleur dans mon pied, ça allait. Je n'avais pas mal ailleurs, ni même à la tête, ce qui était fort étonnant. Je n'avais pas de nausées, mais peut-être que la vue de la nourriture pourrait éveiller cela. Je n'en étais pas encore sûr, mais je savais par contre que j'avais faim. J'arrivais à bouger mon pied, mais il était encore tout engourdi et faisait un mal atroce, alors je n'osais pas. Mais de le sentir encore et d'arriver à le bouger était rassurant.
Je passai une main dans mes cheveux et me redressai, posant un oreiller dans mon dos et m'appuyant dessus. Un soldat couché à côté leva les yeux vers moi. Visiblement, lui n'avait pas été aussi chanceux, il était dans un état bien pire. Je le... je le connaissais vaguement, je crois. Il était là, hier. La pauvre...
Il esquissa un sourire dans ma direction, sourire que je lui rendis, en souhaitant qu'il survive à cet évènement. Il n'avait que 18 ans. Il était si jeune... poussé à commettre des choses aussi horribles. Il ne pouvait pas être si corrompu. S'il survivait à cette guerre, j'osais espérer qu'il serait quelqu'un de bien qui vivrait une belle vie. Il ne méritait pas ce sort.

Je demandai un peu d'eau à une infirmière et prit une petite gorgée de mon verre ensuite.

Malgré mon inquiétude, les deux heures furent vite passées. Il faut dire que j'avais tant à faire! Quand les malades ne m'appelaient pas à l'aide, c'était une infirmière devant transporter un blessé en urgence qui m'interrompait, ou une dame peu commode nous livrant des victuailles. J'aurais peut-être craqué si je n'avais pas su Jason si proche. Inutile de l'inquiéter, des fois qu'il entende...

Au terme de ces deux heures intenses et bien remplies, je poussai un long soupir et posai mes deux mains dans le bas de mon dos, le sentant craquer longuement. Je me sentais...pire qu'en étant enceinte du 9ème mois. J'avais tellement mal à force de me pencher sans arrêt et de transporter des tas de choses lourdes! J'étais justement en train de me demander si j'allais survivre en continuant à me bousiller le dos comme ça quand on m'annonça mon quart d'heure de pose. Génial, en plus, je venais de voir que Jason s'était un peu redressé dans son lit sur un oreiller!

-Alors mon amour, comment ça va?, lui souris-je en m'approchant de son lit.

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