I'm not crazy, I'm just a little unwell (Cherryyyy ♥)

Sainte Dorothée.

C’est un endroit que toute personne sensée veut éviter. Tout personne sensée, justement, parce que c’est un endroit pour les fous. Pas juste les dérangés. Les plus dérangés desdits dérangés. Vous me suivez? C’est un endroit où seule la crème de la crème des malades mentaux se retrouve, un endroit où la logique est proscrite. C’est un monde tordu ou tout humain avec un semblant de bon sens finit par perdre totalement la tête. La seule façon d’y survivre, c’est d’être fou. Mais pas trop. Juste assez. Fou au point de ne pas trouver étranges les gens avec qui on habite. Mais sain d’esprit au point de savoir qui on est, de penser. De savoir qu’on est fou. De réaliser que le monde qui nous entoure n’est pas le monde normal, et de ne pas chercher à retrouver ce monde normal. De ne pas avoir peur des cris, des pleurs, à toute heure de la journée. Mais de ne pas en entendre. D’être tordu de façon saine, vous comprenez?

Vous savez comment on y entre? Avant de réaliser qu’on est fou. Du moins, pour la plupart. Moi je savais déjà que j’étais malade mental, c’est pour ça que je suis resté sain d’esprit. Parce que je savais bien que je ne tournais pas rond. Seulement, il y a une différente. Avez-vous déjà entendu des voix? Un murmure qui vous dit de faire des choses? Que disent-elles? De tuer, de ne pas tuer. Toutes sont différentes. Alors, vous voyez de quoi je parle? Et bien je n’en ai jamais entendu. Mais là n’est pas la question. Vous vous demandez comment moi, qui suis tout à fait normal, a pu rentrer dans cet hôpital psychiatrique. C’est parce que j’étais toqué. Mais pas moi. L’autre. Celui qui m’avait foutu là, il était toqué. Mais finalement, puisque j’avais pris sa place dans cet endroit, qui était le fou?

Tout avait commencé six mois auparavant. J’avais emménagé depuis peu avait un garçon tout ce qu’il y a de plus normal, un inconnu qui chargeait pas cher de loyer. Ainsi, nous nous parlâmes un peu, nous devinrent amis. Nous allions à la même université, mais dans deux programmes différents. Un matin comme tous les autres, je me rendis à l’académie à pied. C’était la journée où ma vie commencerait à se gâter, la journée ou je commencerais –enfin, pas moi, l’autre- à tomber dans la folie. Alors, étant d’un naturel curieux, je m’approchai lorsque je vis les voitures de police. Je n’aurais pas dû. Dans le fossé devant l’école, on avait retrouvé un corps, celui d’une charmante fille aux cheveux blonds argentés et aux yeux verts. Son corps avait été mutilé, découpé en charpie. Seul son visage était indemne, tordu, mais indemne. La chose la plus horrible, c’était que je la connaissais, cette fille là. C’était une de mes bonnes amies.

Son décès confirmé, quoi qu’il fût plus qu’évident, je rentrai chez moi, écœuré. Le reste de ma journée fût plutôt pitoyable, je la passai à déprimer dans mon coin. Evans, parce que c’était le nom de mon colocataire, était rentré et m’avait dit qu’il avait appris la triste nouvelle. Il était resté avec moi. Les funérailles avaient eu lieu quelques jours plus tard, et j’y étais allé. Pas de nouvelle du meurtrier. Au cours des semaines suivantes, de nombreux cas c’était répétés. Toutes des filles, toutes des filles que je connaissais. Anah, Lowren, Suki, Amy, Judith, Maude. Sept filles, sept de mes amies étaient mortes de cette mort horrible. J’étais terrorisé.

Alors une journée, j’entrai chez moi avec milles précautions. Je rembarrai les portes. Puis j’entendis Evans me demander d’aller chercher quelque chose dans sa chambre. Je m’y dirigeai. La lumière était éteinte donc je voulais l’allumer. Or, la porte se referma derrière moi. Les serrures étaient inversées. J’étais embarré. J’ouvris la lumière, et poussai un cri en voyant le corps sur le lit : une jeune fille, morte, toute aussi blessée que les dernières. C’était ma copine. C’était la fille avec qui je sortais. Fou de rage et de chagrin, je vis le couteau ensanglanté qui siégeait à ses côtés.

« Evans, espèce de merde. C’est toi qui les as toutes tuées? J’vais te découper en morceaux. J’vais t’arracher le cœur. »

Un rire.

« Voyons, c’est pas moi qui les ais tuées. C’est toi. T’as pas honte? Tu t’es enfermé dans la chambre pour tuer ta petite amie, en arrivant, j’ai entendu des cris et j’ai appelé la police. Adieu Gab. »
« Je vais te tuer. »
« Je n’en doutes pas »

Il avait appelé la police, et j’avais été accusé. Nommé coupable, je m’étais fait interné à Sainte Dorothée. J’avais beau répéter que ce n’était pas moi, qu’il y avait une erreur, ils disaient tous cela. Alors, je suis devenu le meurtrier que je n’étais pas. Dans cet endroit horrible, j’avais une charmante cellule blanche que je partageais avec un homme. Enfin, il aurait aussi pu être un fauteuil. N’est-ce pas similaire? Bonjour monsieur, et il ne répond pas. Comme le fauteuil. Ah. Donc on m’accorde le point. Il ne parlait pas. Enfin oui. Il se parlait à lui-même. Bonjour monsieur, comment allez vous. Non, je ne crois pas qu’il se vouvoyait. Les fous ne sont pas polis.

Et puis quatre mois plus tard, on avait découvert que les empruntes digitales sur le couteau n’était pas les miennes. Parce que, le couteau avait disparu quand la police était arrivée. Evans l’avait pris. Et puis, il n’avait pas pu s’empêcher… enfin, je n’avais pas pu. J’avais encore tué. Alors que j’étais dans ma cellule, je courrais les jolies filles à déchiqueter en morceaux. Suite à cette découverte, on avait tenté de m’interroger, de me demander à qui je faisais référence quatre mois plus tôt quand je disais ne pas être coupable.

« Mais voyons, vous l’avez dit vous-même. C’est moi qui les ais tuées. »

J’`étais parti à rire. Alors, le personnel avait avoué que mon état s’était détérioré de jour en jour. On décida de me placer dans une maison, histoire que je retrouve le monde normal et donc, mon état normal.

Et c’est ainsi que je me retrouvai devant une maison, qui serait ma nouvelle cage, pour vivre avec une généreuse famille qui avait accepté de vivre avec un fou. J’étais un meurtrier, je n’allais quand même pas les tuer. Logique non? C’est parce que j’étais un tueur qui n’avait jamais tué. Ainsi, j’avais apporté mes maigres bagages devant une énorme maison blanche, et je scrutais les alentours de mes yeux bleus. Bleus, c’était la couleur de l’herbe, car le ciel était vert. J’avais conclu que si j’avais changé de place avec Evans, tout devait être à son opposé. Donc, j’avais les cheveux courts, noirs aux reflets bleus. Ça c’était vrai. C’était le moi qui était grand et mince, qui n’avait jamais tué. Car l’autre avait les yeux verts et les cheveux châtains, mais il courrait toujours. Je cognai à la porte de la maison, un air indéchiffrable au visage.

Depuis toujours, j’avais été habituée à partager ma chambre avec une autre personne, une personne qui avait plus de problèmes que je ne puisse l’imaginer et qui n’avait souvent aucune envie d’être là. La première âme en peine qu’on avait ramené à la maison venait de perdre ses deux parents dans un accident tragique et, du haut de mes six ans, j’avais dû supporter les nuits peuplées de hurlements et les crises de panique d’une petite fille à peine plus vieille que moi. Ca peut paraître cruel, mais mes parents considéraient que c’était un devoir de venir en aide à tous ces gamins sans foyer, que ce soit pour un jour, un mois ou un an. Et moi, leur propre fille, je n’avais pas plus le droit de faire partie de la famille qu’eux. Au final, il n’y avait rien de si terrible là dedans. J’étais enfant unique et, bien que la plupart des enfants perturbés ne souhaitent pas de compagnie, je trouvais souvent en eux un agréable moyen de passer le temps.

Maintenant, c’était légèrement différent. J’avais 17 ans et mes parents s’étaient spécialisés dans l’accueil de délinquants. Ils avaient simplement décrété qu’étant à peu près de leur âge et connaissant bien les effets des hormones sur le cerveau des ados, j’étais la mieux placée pour les sauver. Moi, j’étais d’un avis légèrement…différent. Quand je rentrais dans ma chambre, où l’air n’était même plus respirable parce que le protégé de papa maman avait fumé toute sa réserve de drogue pendant mon absence, je ne pouvais pas vraiment dire que j’étais enchantée de la partager avec le rebelle qui gisait à moitié inconscient sur mon tapis. Mais bon, une fois de plus, je n’avais pas vraiment mon mot à dire là bas. Sans compter que, parfois, je tombais sur des gens vraiment bien. Une fois, une fille qui avait baigné dans la prostitution était resté le temps de quelques semaines avec nous, et je dois dire que j’avais vraiment apprécié son humour irrésistible et ses manières exubérantes. Il y avait aussi eu Charles, un gars qui avait violé plusieurs filles de son lycée avant de tenter de se suicider. Celui-ci était resté presque un an, et s’était comporté comme un grand frère malgré mes craintes au sujet de son rapport aux femmes. Comme quoi, il ne fallait pas se fier aux apparences…

Mais Charles venait de partir il y a tout juste une semaine. Dans ma chambre, sa photo avait rejoint celles des autres sur le mur au dessus du lit libre. 46 au total, un chiffre important qui démontrait la folie de mes parents lorsqu’il s’agissait d’accueillir des jeunes qui n’avaient plus aucunes attaches. Plusieurs des ados que j’avais accueillis dans ma chambre avaient tenté de jeter ces photos, mais j’étais restée ferme à ce sujet. C’était MES souvenirs, dans MA chambre. Et la leur, s’ils se comportaient bien. Enfin bref, il n’y avait pour l’instant qu’un lit occupé dans ma chambre, et je savais que cela signifiait qu’un nouveau « frère » ou une nouvelle « sœur » allait débarquer sous peu. Comme d'habitude, je n'étais pas vraiment enthousiaste. J'allais de nouveau devoir installer le grand rideau qui pendait du plafond, séparant ma chambre en deux espaces bien définis. Il y avait ce rideau depuis que ma famille accueillait des garçons, souvent un peu plus âgés que moi et pas vraiment en mal d'idées louches. Et puis de toute façon, c'était plus agréable d'avoir chacun son espace.

Soudain, alors que j'étais en train de fixer le fameux rideau, debout sur une chaise de bureau, on frappa à la porte. Mes parents étaient partis depuis à peine 5 minutes pour faire des courses, alors je doutais fortement que ce soit eux. Non, en fait j'étais presque sûre qu'en ouvrant, je tomberai sur l'invité mystère. Le nouveau membre de la famille. Mon ou ma colocataire. Bref, encore un dérangé sûrement pas très agréable à vivre.

Une fois descendue de mon perchoir, j'allai ouvrir la porte tout en passant une main dans mes cheveux d'un brun aux reflets caramel. Rebelles qu'ils étaient, tout comme l'était sans doute le jeune homme à qui je venait d'ouvrir. Désespérément plus grand que moi. Plus âgé aussi, sans doute. Plutôt mignon, ou pas laid. Bref, il ressemblait exactement à tous ceux qui avaient passé cette porte pour la première fois. Pas enthousiaste pour un sou et désespérément inconnu.

-Bonjour. Je suis Emma. Tu vas partager ma chambre, alors si tu veux bien me suivre...

Ce discours, je le servais à chaque fois. Pas original, court et efficace. Indispensable pour commencer les choses de manière simple, et sans se prendre la tête. Je grimpai donc les escaliers qui menaient à ma chambre en sautillant, sans trop regarder si mon nouveau "frère" me suivait.

Je n’avais jamais été fou, je n’avais jamais été un tueur. Et pourtant. Maintenant on savait que je n’avais tué personne, mais que j’étais dérangé. Moi je me croyais meurtrier mais sain d’esprit. Meurtrier, sans l’être. C’était étrange. J’étais deux personnes à la fois. Evans, le criminel, et moi, Gabriel, la victime. Une des victimes. Pas de la même façon qu’Amy ou Maude ou Judith. Je n’avais pas été découpé en morceaux. Pas physiquement. Mais mon âme devait être en piteux état. Je n’irais jamais au paradis, ça c’est sur. Je n’étais pas croyant de toute façon. Bref, qui je suis vous importe peu, je pourrais aussi bien vous parler de qui j’étais.

J’avais passé quatre horribles mois de thérapie à me faire demander pourquoi j’avais tué ses filles. Je ne les avais pas tuées. Je répondais toujours qu’il fallait demander à celui qui l’avait fait, pas à moi. Sauf qui finalement, c’était moi qui les avais mutilées non? Si c’était le cas, je serais toujours interné. Il leur avait fallut quatre mois, aux policiers, pour trouver que je n’étais finalement pas coupable. J’aurais pu le dire depuis le début. Et puis après, ils s’étonnaient que je sois devenu comme ça. On m’avait dit « Tu vas aller dans une famille, tu vas retrouver le monde normal, n’es tu pas heureux? » J’avais répondu que la fille que j’aimais était morte, et que c’était « moi » qui l’avais tuée. Alors non, je n’étais pas heureux.

Et elle se tenait devant moi, cette autre jeune fille. Arrogante. Elle s’imaginait que j’étais un autre garçon qui avait des problèmes de drogues. J’avais fait pire que ça. J’avais côtoyé le meurtrier de sept de mes amies et de ma copine. J’avais été accusé. Et si j’étais un peu fou maintenant, c’était de la faute de ces imbéciles de policiers. C’était à cause d’eux si j’étais devenu criminel, s’ils ne m’avaient pas déclaré coupable, je n’aurais pas sombré. Je suivis la demoiselle vers sa chambre, qui serait aussi la mienne. Une fois rendu en haut, en face d’elle, j’éclatai d’un rire sans joie.

« Tu n’as aucune envie de me voir n’est-ce pas? Tu sais bien que je viens de cet endroit, cet institut psychiatrique pour les criminels endurcis. Et puis, après tout, n’en as-tu pas un devant toi? Je n’ai jamais tué, mais je me suis fait emprisonner pour meurtre. Et tant qu’il sait que tu me connais, et bien tu es une victime potentielle, » fis-je sur un ton lugubre.

D'habitude, ça ne se passait pas vraiment comme ça. Une fois dans ma chambre, mon "frère" ou ma "soeur" se fendait d'un commentaire désagréable sur la déco, et s'affalait sur le mauvais lit, à savoir le mien. Avant de critiquer la qualité de la literie. Ca, c'était le le schéma de base, et je m'y étais parfaitement habituée.

C'est pour cela que je n'étais pas vraiment préparée à ce qu'il me parle avant même de s'occuper de la chambre comme le faisaient les autres. D'ailleurs, je ne m'attendais pas vraiment à ce qu'il me parle tout court. Il y en avait qui m'agressaient d'entrée, et d'autres qui ne m'adressaient pas la parole de tout leur séjour dans ma famille. Mais lui, il le faisait. Et pour dire quoi? M'informer qu'il n'était pas, comme je le pensais au début, l'un de ces imbéciles drogués qui squattaient ma chambre depuis plusieurs années. Non, lui, il était un meurtrier. Un meurtrier qui n'avait jamais tué personne. Je le croyais, oui. De toute façon, des fous, j'en avais vu pas mal dans ma maison. Parfois inoffensifs, d'autres fois pas. Je gardais d'une fille sortie de prison un mauvais souvenir, gravé dans mon avant-bras à l'aide d'un rasoir. Mais je n'avais pas peur. Jamais mes parents n'avaient arrêté d'accueillir de jeunes, et jamais je n'avais refusé de partager ma chambre avec eux. Alors s'il fallait mourir, je mourrai. Mais j'étais optimiste, et ne voyais pas pourquoi quelqu'un me tuerait. Quant à sa remarque visant son envie de voir arriver le jeune homme, je la trouvait plutôt vexante en réalité. Moi, je n'avais jamais eu le choix. J'étais fille unique avec 46 frères et sœurs. 47, maintenant. Et si mes parents s'occupaient raisonnablement de moi, je n'avais pas assez d'attention à mon goût. Pourtant, j'accueillais les nouveaux cordialement. Chaleureusement, s'ils en avaient besoin. Mais je n'étais pas vraiment enthousiaste, effectivement. Juste...indifférente. Encore un de passage, voilà ce que je pensais.

-Super, tu penses qu'il viendra m'étrangler pendant mon sommeil quand? Parce que j'avais prévu de sortir demain, alors je préfèrerais savoir, pour annuler au cas où...

J'avais voulu détendre l'atmosphère mais sans trop savoir pourquoi, je sentais que ça n'était pas gagné. C'est pourquoi je contournai mon nouveau grand frère pour aller m'asseoir sur mon lit, attendant sa réaction.

C’était un peu comme si j’avais une double personnalité. Il y avait Gabriel le musicien, le bon élève, qui n’avait jamais fait qu’être terrorisé par les gens en général, et il y avait… l’autre. Une partie de moi tout à fait illogique, qui aimait parler en charade, détruire ce qu’elle avait et gruger peu à peu toute partie de Gabriel qui restait. J’étais un homme infect, apeuré par le souvenir d’un meurtrier qui courrait toujours, et qui ne dénonçait pas ce meurtrier, car il était sûr que c’était lui-même. Mais il arrivait que se repointe Gabriel, et que je sois lucide. C’était ce qui arrivait à l’instant. La pauvre demoiselle ne me croyait pas du tout, elle se moquait carrément de moi. Mes yeux bleus perdirent le voile qui les couvrait, et prirent une teinte infiniment triste alors que je passai ma main sur la joue de la demoiselle avec un sourire triste.

« Tu sais… tu… tu as un très joli visage. C’est la seule chose qu’il laisse indemne. Tu as entendu parler de lui c’est sur… Il en a tué 8, et il recommence. Il me déteste, j’ignore pourquoi. Et puis… on m’avait accusé à sa place, c’est pour ça qu’aujourd’hui je suis comme ça », fis-je d’une voix douce, la voix de quelqu’un de normal.

Je la lâchai et retrouvai mon rire jaune. Il était revenu. Je savais bien qu’il allait l’attaquer, qu’il allait vouloir la tuer. Sauf si elle me détestait. Sauf si elle ne voulait rien savoir de moi. Enfin, j’entrai dans la chambre et ne pipa aucun autre mot à la demoiselle avant de me décider à lui demander quel des deux lits étaient le mien. Demande formulée de façon excessivement polie, d’ailleurs.

Je fermai légèrement les yeux lorsqu'il passa sa main sur ma joue. Sa peau était tiède, et ne sentait ni l'alcool ni le tabac. Exactement les odeurs que ne devait pas trimballer mon grand frère pour me plaire. Je dois dire que dans tous ceux que j'avais eu, peu d'entre eux sentaient assez bon pour que l'on puisse s'en approcher sans suffoquer. Les compliments aussi, étaient rares. Ou intéressés, sans doute. Je n'avais pas eu de problèmes sérieux avec des frères un peu trop incestueux, mais j'avais refusé bien des avances pour me préserver. Je savais pertinemment qu'accepter d'être touchée par un jeune homme vivant et dormant dans la même chambre que vous était risqué. C'est pourquoi je détournai légèrement la tête alors que Gabriel enlevait lui même sa main. Inutile, mais assez remarquable pour lui signifier que j'acceptais son geste sans l'encourager.

-Je crois avoir eu vent de cette affaire, oui. Mais je n'ai pas peur. Tout le monde sait par ici que je vis dans une maison de fous. Personne ne viendra nous faire du mal, crois moi.

Je lui souris, avant de remarquer qu'il était redevenu...comme lorsqu'il était entré. C'était indéfinissable, mais je devinais que je ne pourrais rien en faire dans cet état là. C'est pourquoi je me contentai de lui pointer son lit et de lui donner quelques indications. Où se trouvaient les draps propres, que pouvait-il personnaliser dans sa partie de la chambre, comment ranger ses affaires dans la salle de bain...Bref, des règles de base pour bien s'entendre au quotidien. Je lui demandai finalement sa couleur préférée, comme à tout nouvel arrivant.

Je m’assis sur mon lit, entendant à peine ce qu’elle me disait, hochant la tête par politesse. À la mention de ma couleur préféré, je secouai la tête, légèrement confus.

«Avant je t'aurais dis le rouge. Mais c'est la couleur qu'avait Jessy quand je l'ai trouvée sur son lit... Le blanc, c'est la couleur qu'avait ma cellule et ça fait beaucoup trop pur pour moi. Alors... va pour le bleu?»

Mon regard revint au vide après un léger rire. Et je lui demandai si elle, elle avait une couleur de prédilection. Un peu après que le silence soit revenu, j’entendis mon portable sonner. Une mère hystérique me salua, me rappelant qu’elle savait depuis le début que j’étais innocent.

« Huh. De toute façon, que je les aie tuées où pas, elles sont mortes pareil, ces jeunes filles. »
« Gabriel… j’espère que tu vas te remettre rapidement pour pouvoir revenir chez nous. D’ailleurs mon chéri, demande donc au gens de ta famille d’accueil s’ils n’ont pas un coli pour toi, nous t’avons fait porter ta guitare. »
« Quooooooi?! Pourquoi tu l’as pas dis avant! Merci m’man »

Et je raccrochai précipitamment, comme sorti de ma transe. Je me tournai vers la demoiselle, tout plein d’espoir avant de lui demander s’ils avaient reçu quelque chose à mon nom. « Gabriel Rancourt » précisai-je. Je voulais ma guitare. Il me restait encore assez de côté d’esprit normal pour savoir que je voulais pouvoir jouer, alors que je ne l’avais pas touchée depuis quatre mois. J’étais un peu comme un mec qui sait qu’il va revoir sa copine pour la première fois depuis longtemps et qu’il va avoir une nuit d’enfer. Moi je voulais ma guitare bon. èé

Je souris. Bleu, c'était parfait. A son réveil, il allait sans doute trouver une bricole sur sa table de nuit de cette couleur. Ca n'était pas un traitement particulier, loin de là, mais j'avais toujours trouvé cette marque d'attention sympathique. Histoire de bien préciser que je n'en voulais pas à mon nouveau frère d'avoir une fois de plus volé ma place d'enfant unique. Ca pouvait être n'importe quoi, du moment que c'était utile...une brosse à dents, une paire de chaussons, un ours en peluche...un cadeau, quoi.

-Moi, j'aime le jaune! C'est la couleur du soleil, de mes chaussures préférées et du sorbet au citron. C'est une couleur qui a du punch, comme moi, héhé.

Je me laissai tomber de tout mon long sur mon lit, offrant ainsi le loisir à Gabriel de finir sa conversation téléphonique tranquillement. Contrairement à d'autres qui étaient passés par ici, il avait encore une famille, et je comprenais l'importance de leur communication. Lorsqu'il me demanda si nous avions reçu un colis, je hochai la tête en souriant. Ainsi, il se prénommait Gabriel...ce colis n'avait donc pas été livré par erreur.

-Oui, elle est juste là. Je suis désolée, j'ai ouvert le paquet, parce que j'étais...curieuse ^^", lui répondis-je en pointant une guitare encore à moitié enveloppée de papier dans un coin de la pièce.

Jaune… Les bourgeons l’étaient, avant d’éclore. C’était la couleur de transition de l’hiver au printemps. Et même l’été, entre les feuilles, les reflets du soleil leur donnait cette teinte comme pour nous rappeler qu’elles étaient là à cause du printemps. L’automne, elles l’étaient aussi. Le jaune, c’était la couleur d’un début, début qui revenait à chaque fin. Vous comprenez? C’était un cycle, un dégradé. Tout d’abord très voyant, il se fadait pour reprendre un semblant de vigueur avant de disparaître un moment. Telle la chandelle qui brûle plus fort avant de s’éteindre. De toute façon, peu vous importent ces connaissances inutiles, alors pourquoi en parlons-nous. Bref. Ma « petite sœur » se laissa tomber sur le lit et je l’entendis distraitement.

Nous t’avons fait porter ta guitare.

Je m’étais relevé d’un bon lorsqu’elle m’avait pointé la caisse, retrouvant toute ma tête d’un coup. La musique avait toujours eu une place bien spéciale pour moi. C’était comme un médicament, comme un autre monde. J’adorais tous les styles. Et de pouvoir jouer… et bien depuis que j’étais jeune ça faisait partie de ma vie : j’avais joué du piano, du violon et de la guitare. Mais disons que cette dernière avait toujours été ma préférée. Depuis que j’avais 11 ans je prenais des cours. J’avais arrêté lorsqu’on m’avait enfermé et je n’avais pas touché à un instrument où entendu une mélodie –outre mon compagnon de cellule qui se parlait à lui-même – depuis quatre mois. Torture que ça avait été.

Je sortis ma fidèle campagne de l’emballage, un peu embêtée de ne pas avoir me étui, puis grattai les cordes de mes doigts fins. Sans même que mon cerveau se mêle de la partie, une mélodie de balade sortie de l’instrument. C’était carrément mieux que ce dont je me souvenais. Je me tournai vers la demoiselle, toute ma lucidité retrouvée et lui lançai un sourire timide mais totalement craquant.

« Tu aimes la musique? »

L'enthousiasme de Gabriel me fit sourire, et je ne pu m'empêcher de me relever sur mon lit pour l'observer en train de déballer sa guitare. Tout le monde avait une passion, quelque chose pour laquelle il vivait. Sans cette petite chose parfois simple, on pouvait se sentir perdu, seul. Moi, je n'avais pas vraiment d'activité à moi, de truc spécial qui me correspondait parfaitement. Disons que j'avais grandi en suivant une bonne vingtaine de modèles différents, et que je m'étais adaptée en conséquences. Ce que j'avais appris depuis mon enfance ne tiendrait même pas sur une page. Sarah m'avait appris à jouer aux cartes, Tom à faire des origamis, Nathalia à faire des couronnes de fleurs...bref, j'avais au moins un millier d'activités préférées. C'est cela qui me rendait si énergique, presque hyperactive.

-Je crois, oui. Enfin, ça dépend...le dernier gothique qui a squatté ma chambre a détruit mon audition pendant un bon bout de temps...

Je regardai la demoiselle avec un sourire bienveillant. J’avais toujours été un garçon très gentil, qui n’aimait pas se mêler aux gens mais qui finissait toujours par l’être parce que, justement, il attirait tout le monde. Et puis les filles étaient souvent après moi. Moi j’étais profondément tombé amoureux d’une petite créature malchanceuse nommé Jessica. Elle avait eu une vie très difficile, où elle était ignorée de ses parents et détestée de la plupart des gens. Elle avait croisé mon chemin alors qu’elle était au plus bas dessous et je l’avais aidé, je l’avais fait sortir de là. Mais peu avant sa mort plus rien n’allait entre nous, nous nous disputions souvent et notre couple touchait à sa fin.

« Alors je vais faire attention pour ne pas jouer trop fort. »

Je lui fis un clin d’œil avant de m’attaquer à nouveau à ma guitare, la mélodie devenant d’un coup plus sure, et :

« All day
Staring at the ceiling
Making friends with shadows on my wall
All night
Hearing voices telling me
That I should get some sleep
Because tomorrow might be good for something
Hold on
I'm feeling like I'm headed for a
Breakdown
I don't know why
I'm not crazy, I'm just a little unwell
I know, right now you can't tell
But stay awhile and maybe then you'll see
A different side of me »

Et je continuais de chanter, un peu comme si j’étais dans mon proper monde, de ma voix riche et un peu grave.

Je fermai les yeux, appréciant la douceur de la musique, et la légère vibration qu'elle propageait en moi. Après avoir souffert pendant des années à coups de heavy metal et autres choses s'approchant plus du bruit assourdissant que de la musique, j'avais enfin dans ma chambre quelqu'un qui savait jouer de la guitare et qui, ô miracle, était capable de chanter sans hurler de tous ses poumons des paroles incompréhensibles. Wow...j'avais à présent au moins une ou deux raisons de plus pour garder Gabriel dans ma chambre.

J'attendis la fin de la chanson pour lui adresser un sourire tout aussi radieux que le sien avait été bienveillant. J'admirais l'air décontracté qu'il prenait alors qu'il jouait devant moi, moi qui malgré mon air d'éternelle surexcitée était souvent en proie à un stress insurmontable devant les gens. Peut-être parce que je ne me sentais particulièrement douée dans aucun domaine, ou juste parce j'avais été génétiquement programmée ainsi...

-C'était magnifique. Je crois que mon ouïe revient lentement...

« Tu sais… ce que je t’ai dis tout à l’heure, c’est vrai. Si tu m’apprécie juste un peu, il va te trouver. Il m’a en parfaite aversion. Et s’il te trouve il… »

Il va te trouver~ te découper en morceaux. Il n’était pas gentil du tout, mon autre moi. Il aimait les filles. Il les détestait toutes. Surement parce qu’il n’avait pas autant de succès que moi, et moi, je ne profitais pas du mien, tellement j’essayais de recoller les morceaux avec Jessica. Lui, il les avaient simplement plus séparés. Vous comprenez? Il avait passé sa chair aux coups de couteaux, donc forcément elle était en morceaux.

« Il va te tuer. C’est sur. Il ne touchera pas à ton visage, par contre. Il va lézarder le reste de ton corps de coups de poignards béant par contre. C’est ce qu’il a fait avec les autres. Il les a tué dans une lente agonie, avec le sourire je suis sur. C’est un être ignoble que cet autre moi. Mais je ne suis pas lui. Enfin oui, mais il n’est pas moi. Ils m’ont tous dit que je les avais tuées. Mais comme c’est lui qui l’a fait, ça fait de moi lui sans l’être, tu comprends? »

Certainement? Ah, je ne croirais pas. J’étais le seul à comprendre, à savoir pourquoi j’étais innocent. Je crois que cette transe, où mon regard était vide et apeuré, c’était parce que je me protégeais.

Je ne l'interrompis pas, bien que ce ne soit pas l'envie qui me manquait. Il parlait comme si tout ce qu'il imaginait devoir arriver était une fatalité, comme si c'était prévu d'avance et que l'on ne pouvait l'éviter. Mais moi, je ne croyais pas au destin, ni à ce genre de choses. Et j'étais persuadée de ne pas courir plus de risques avec lui et son double tueur qu'avec ceux qui dealaient drogues et armes dans mon jardin une fois la nuit tombée. Je n'avais pour l'instant pas l'impression que je pouvais mourir sous peu, et n'avais jamais ressenti de peur à l'idée de fréquenter quelqu'un de dangereux ou un peu limite dans le cadre de ma propre famille.

-Il ne me trouvera pas. Et je t'apprécierai, parce que tu es mon frère maintenant. C'est comme eux, tu peux pas y couper. Je t'aime déjà comme les 46 autres et ça...on ne peut rien y faire.

J'avais envie de le rassurer, de lui affirmer qu'il ne retrouverait jamais mon corps barbouillé de sang dans un coin de la chambre, et que j'allais vivre jusqu'à 70 ans au moins. Mais je doutais fortement qu'il me croie sur parole. Alors j'essayai, j'essayai encore de lui donner des bonnes raisons d'arrêter de stresser (j'avais pris des cours de self-defense avec un de mes frères, trop de stress faisait apparaitre les cheveux blancs, j'avais une poêle en fonte non loin de mon lit et je pouvais l'abattre à tout moment sur la tête d'un agresseur...)

C’était tout bonnement ridicule, la façon dont elle me prenait pour un fou. Bon, le fait que je sois tout juste sorti de l’asile y était peut-être pour quelque chose. Mais en même temps, elle savait pourquoi j’y avais été, donc que j’avais côtoyé un meurtrier, elle aurait pu faire le lien non? Que je savais comment il agissait. Que je savais qu’il était bien plus fou que moi. Elle, elle préférait croire que j’avais une double personnalité de tueur. Dans le genre inoffensif. Sauf que moi, je n’avais tué personne, j’avais seulement été accusé de l’avoir fait. Et avec le temps, j’avais fini par me convaincre que j’étais un meurtrier, histoire de faire taire l’effroi. Voilà pourquoi personne n’avait su tirer de nom de moi, depuis le début. Car j’étais passé de l’état de choc à un stade ou personne ne m’écoutait, puis j’étais sombré dans la démence.

Mais je voulais protéger cette fille. Je ne voulais pas la voir mourir. Pas seulement car on m’accuserait à nouveau, et que je retournerais dans cet endroit horrible, mais surtout parce que je ne pouvais pas supporter de voir une autre personne se faire assassiner juste sous mes yeux, sans réagir. Mais cette petite idiote ne semblait pas prête à m’écouter. Elle se croyait surement supérieure, parce que j’étais en réhabilitation et pas elle. Parce que j’étais fou, et pas elle. Parce que moi, j’avais passé quatre mois à Sainte-Dorothée.

« Tu ne m’écoutes pas. Tu crois que je suis fou. Tout simplement. Tu te dis que je te mets en garde contre une double personnalité, ou quelque chose comme ça. Je sais ce que c’est qu’entendre des voix –merci à l’homme qui partageait ma chambre là-bas et je peux te dire que je n’en n’ai jamais entendue. La personne de qui je te dis de prendre garde est réelle.»

C’est vrai, j’avais souvent entendu cet homme se parler seul, même si je ne lui avais jamais dit un mot. Ces conversations étaient entre lui et sa tête, il aurait été mal élevé de s’imposer. Et puis, je n’aurais pas entendu les voix me répondre, puisqu’elles n’existaient pas.

C'était faux, je ne le croyais pas fou. Juste un petit peu dérangé, tout au plus. Mais surtout plutôt instable et en pleine panique. Il voulait me protéger d'un assassin, et c'était bien gentil mais...que voulait-il que je lui dise? Que j'allais demander à mes parents de me payer un garde du corps? Que je le supplie de s'en aller loin pour ne pas mourir? Non, je ne pouvais pas raisonnablement faire ça. Alors, tout simplement...je devais faire comme si la discussion était close, et que j'avais envie de passer à autre chose. Ouaip, c'était vraiment ce que je devais faire tout compte fait.

-Oui, hum...j'te crois. T'as raison, je vais faire attention. Ca va comme ça? ^^"

Espérons qu'il réponde que oui...mmh, je n'avais pas envie de me disputer avec mon nouveau frère. Or, j'avais un caractère de cochon, et s'il continuait à me bassiner avec ses gens maléfiques venus pour me tuer, je n'allais pas lui laisser le dernier mot si facilement!

Je lâchai un faible soupir, comme si je n’étais pas convaincu, mais que ça allait faire pour cette fois. Je n’avais pas beaucoup de logique, certes, mais je voyais bien que je ne pourrais tirer plus de cette jeune fille. J’hochai donc la tête en signe d’affirmation, avant de la secouer brutalement, histoire de reprendre mes esprits. Et voilà, encore un changement de personnalité. Je voyais bien qu’elle ne m’écouterait pas, elle ne me connaissait pas assez. Je n’Aurais qu’à la surveiller étroitement en attendant, histoire qu’elle ne se fasse pas trouver. Remarque que, je doutais qu’Evans soit au courant de l’endroit où on m’avait mis en famille d’accueil. Il devait être trop occupé à sauver sa peau. Je jetai un coup d’œil à ma montre, et voyant qu’il était assez tôt, je saisis mon sac à dos avant de prendre la main de ma « sœur » pour la relever.

« Allez viens, fis-je avec un sourire timide, je te paye une crème glacée puisqu’il fait beau. Montres moi où il y a une crémerie… Et ne me sors pas que tu fais une intolérance au lactose. »

Non non, pas question d'évoquer une quelconque intolérance au lactose! Au contraire, je n'y aurais trouvé vraiment aucun intérêt, puisque j'adooooraaaais les crèmes glacées. D'ailleurs, dans le quartier, ce n'était pas les crèmeries qui manquaient; Aux premiers rayons de soleil, les marchands ambulants s'installaient, et les bars servaient de nouveau leurs exquises coupes multicolores. De vraies bombes caloriques, certes, mais...si c'était mon nouveau frèrot qui le proposait, pas question de manquer l'occasion de me droguer à la crème glacée!

-Ahaaa! Tu vas voir, ici, tu vas goûter à de la crème glacée qu'on ne trouve nulle part ailleurs. Il y en a vraiment à tout, et je peux me vanter de toutes les avoir essayées. Mmmh, tu as déjà goûté de la crème glacée fraise-carotte? Ils ont abandonné l'idée d'en vendre cette année, parce que les gens se plaignaient qu'elle avait un goût de vieux fond d'évier. Si tu veux mon avis, ils n'en savent rien parce qu'ils n'ont jamais goûté à un vrai fond d'évier, et...

Bon, certes, je n'avais la langue dans ma poche. J'avais toujours été bavarde, curieuse d'en apprendre plus sur les gens et de leur faire découvrir de nouvelles choses. J'espérais juste ne pas trop effrayer mon "frère", et c'est pour éviter que cela ne se produise que je me dépêchai d'enfiler mes chaussures, avant de le prendre par la main et de l'entraîner dehors. Mes parents ne s'inquièteraient pas...ils ne s'inquiétaient jamais. Une fois dans la rue, je ne lâchai pas sa main et le menait droit vers mon endroit préféré: un parc où s'alignaient tous les marchands de crème glacée et de boissons, idéal lorsque le temps était au beau fixe.

[FINI L'ÉCOLE ♥]

Ah oui le jaune. Il semblerait qu’elle était celui du printemps, cette jeune fille. On pourrait dire qu’elle était le jaune nouveau, vibrant. Le premier jaune du printemps. Celui des rayons du soleil lorsqu’ils percent au travers des feuilles des arbres. La simple pensée qu’il puisse encore exister des gens comme ça, des gens vivants, des gens heureux, me fit presque chaud au cœur… et renforça ma détermination de protéger cette jolie fleur des griffes de ce meurtrier. Des romans policiers, j’en avais lus beaucoup, espérons que ça m’aiderait à sauver cette jeune fille. Après tout c’était ma nouvelle petite sœur, alors il faudrait bien que je veille sur elle, comme le parfait grand-frère trop protecteur que j’étais!

Je la suivis docilement lorsqu’elle me traina avec énergie vers un parc, écoutant d’une oreille attentive ses jacassements incessants. Je ne répondais pas, car moi et les relations humaines n’étions pas franchement les meilleurs amis du monde. Toutefois, j’aurais pu répéter chacun de ses mots sans problèmes. Jugeant qu’il était cependant impoli de ne pas répondre, je lançai d’une voix un peu timide :

« Et bien moi, je suis du genre traditionnel : chocolat ou vanille... Mais j’avoue que le chocolat a une place toute spéciale dans mon cœur. Et le sorbet au citron aussi. Peut-être que je me laisserais tenté. Prends ce qui te fais plaisir toi. Mais si tu prends une saveur étrange, je me réserve le droit de rire de toi si tu n’aimes pas »

Je lui lançai un sourire tout à fait craquant.

[Re-Bienvenuuuuuuuuue!]

Même une fois arrivée dans le parc, je ne lâchai pas la main de mon nouveau grand frère. C'est vrai, après tout il m'appartenait maintenant! Contente, je me mis spontanément à sautiller joyeusement, traînant toujours Gabriel derrière moi. Je ne m'arrêtai que cinq minutes plus tard, une fois arrivée avec lui devant mon stand de glaces préféré. Les couleurs étaient étranges, les goûts encore plus. Quant au vendeur...non, c'est même inexplicable. Il était très SPECIAL.

-Oh, salut Emma. Tu prends quoi, aujourd'hui? C'est ton nouveau frère?
-Wiiiiiii! Il m'a été livré tout juste ce matin, alors je te l'ai amené tout de suite...je crois que je vais goûter quelque chose de vraiment bizarre, aujourd'hui. J'ai envie de frais et de piquant, de surprenant et...enfin, met moi quelque chose d'affreux!

Le vendeur s'éloigna un petit peu en riant, le temps d'aller chercher deux cornets et d'en remplir un premier de plusieurs boules multicolores avant de me le tendre. Il me connaissait parfaitement, et était au moins à moitié aussi bavard que moi. Bref, on s'entendait parfaitement.

-Et pour le jeune homme, ce sera?

Frais et piquant? Ça ne m’inspirait qu’un truc bizarre comme de la crème glacée au piment fort. Dans un cornet. Ça, ça devait être vraiment dégoutant. Qui aurait eu l’idée de tremper un jalapeño dans un bol de glace, de toute façon? Manifestement ma nouvelle petite sœur. Mais franchement, ça donnerait un produit ignoble. J’imaginais, là. Dans le genre une crème glacé à la couleur de celle aux fraises, mais avec un goût horriblement prononcé et… épicé. Non, ce serait tout bonnement dégoutant comme plat. Surtout que je détestais tout ce qui était trop épicé. Enfin, j’avais un bon seuil de tolérence mais les plats dans le genre de la saucisse italienne, j’étais juste pas capable. Il me fallait caler cinq verres d’eau pour chaque bouchée, vous voyez. Et après, ça vient long manger.

Donc, lorsque le garçon me demanda ce que je prenais, j’étais encore dans mes réflexions de variété de glace trop étrange, alors, je faillis répondre que j’en voulais une au jalapeño. Heureusement, ayant rapidement sorti de ma transe, je lui commandais un sorbet au citron. La tête qu’aurait faite ma sœur si j’avais demandé cette horreur au piment fort. Enfin, en considérant que ça existait.

(Désolée pour le temps de réponse, j'avais mon Brevet jusqu'à hier ^^)

Je louchai sur mes trois boules de glace empilées avec soin dans mon cornet, incapable de dire à l'avance ce que ça pouvait bien être sans goûter. Une fois que mon nouveau frérot eut récupéré sa glace, je m'empressai de l'entraîner vers un banc un peu à l'ombre dans le parc. Pfff, du sorbet au citron...pas original tout ça. Pour ma part, je laissai glisser ma langue sur la première saveur, plissai les yeux puis goûtai la deuxième, puis enfin la dernière. Oh mon dieu...c'était horriblement bizarre. Donc, en gros, j'aimais ça.

-Menthe-Piment-Truc acide indéfinissable. Géniaaaal!

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