Le fils de Seth [PV C.C.]

« Hetsek ! »

Je me retournai rapidement, pour me retrouver nez à nez avec un chacal. Enfin, Nei était une fille, ma meilleure amie depuis aussi longtemps que je me souvienne. Étant l’héritier de la famille royale, le fils d’une déesse, je n’étais pas autorisé à sortir du palais. Mais j’avais un don, un don que seuls les enfants de divinités possédaient. Le pouvoir de me transformer en animal. Contrairement à Nei qui était une lointaine descendante des dieux, dont le sang était dilué, mes transformations ne se limitaient pas en un animal. Non, je pouvais personnifier peu importe la bête que je désirais, signe que j’étais bien le fils d’une déesse. Mais cela, personne de la famille royale ne le savait. Personne ne savait que j’avais découvert mon don, et que je passais la plus clair de mon temps à m’enfuir du palais pour parler avec une paysanne –Nei- ou regarder les alentours de la ville. J’incarnais en ce moment un chat sauvage et j’étais caché sous un escalier à regarder l’horizon. Là, tout près de la ville se tenait le Nil, grand et imposant, rivière turquoise pure qui contrastait avec le sable blanc à perdre de vue. Quelques broussailles s’égaraient çà et là, mais contre le fleuve, la végétation était plus riche. Enfin, je détaillai mon amie rapidement : même sous son apparence de bête elle abordait un pelage blond châtain, de la même couleur que ses cheveux, d’une couleur assez surprenante pour quelqu’un de notre région. Ses grands yeux gris me toisaient avec affolement.

« Qu’y a-t-il Nei? » demandais-je d’une voix désintéressée, elle avait tendance à exagérer.
« Tes parents, ils rentrent au palais, tu devrais te dépêcher d’y retourner avant de te faire prendre! »
Comme toujours, elle me demandait de cacher mon don.
« Rohh, mais je voulais regarder le coucher de soleil, il ne reste plus que quelques minutes avant que… »
« Rentre! » me souffla-t-elle avec autorité
« Bon, bon d’accord! »

Et, sans me retourner, je partis à la course vers le palais, sachant très bien que j’allais arriver à temps, et même en avance. Une fois arrivé contre les imposants murs de pierre couleur sable, je me faufilai dans une crevasse et, après avoir vérifié que personne ne pouvait me voir, me retransformai. Rapidement, j’étais redevenu le jeune homme grand, bronzé et musclé que j’étais. Digne hériter de la famille royale, je portais mes cheveux noirs longs, attachés en une couette haute qui se terminait au haut de mon cou. Mes yeux verts scrutèrent rapidement les alentours : personne. Je me dépêchai de regagner mes appartements, sans être vu. Ce ne fut qu’une trentaine de minutes plus tard qu’on m’avisa du retour de mes parents. Si seulement, je n’avais pas écouté Nei, j’aurais pu voir le couché de soleil! Quoi qu’il en soit, on me fit emmener à la salle du trône, où mes parents me rencontraient la plupart du temps. Je m’y rendis d’un pas pressé, surtout pressé d’en terminer. Pas que je n’appréciais pas mes parents, mais il y avait toujours un malaise en les voyant, en sachant que je pouvais me transformer, et pas eux. Enfin bon, en entrant dans la salle, je remarquai que l’ambiance était différente de l’habitude, lourde, chargée d’électricité, et ma mère pleurait.

« Mère, qui a-t-il? » fis-je sur un ton surpris.
« Hetsek, aujourd’hui est la journée de tes dix-huit ans, aujourd’hui est la journée ou tu quitteras ce palais, et cette ville. Tu n’es pas de la lignée royale, tu n’as pas démontré de talent. Tu dois quitter cette ville. »
« Pas de talent? » fis-je avec un sourire « Et qu’est-ce donc que cela? »

D’un coup, sans prévenir, je leur fis part de mon tour le plus impressionnant : devant eux, à l’endroit où siégeait leur fils un peu plus tôt, se dressait un majestueux lion noir aux yeux verts. Je me dressai fièrement, levant la tête bien haute, en, après avec poussé un rugissement, je me retransformai. Or, au lieu de lire de la surprise sur le visage de mes parents, c’était de l’affolement et de l’horreur.

« Un… Un fils de Seth. » S’exclama ma mère avant de fondre en larmes.
« C’est encore pire que ce que je pensais! » hurla furieusement mon père « Ah, si seulement nous avions su, nous t’aurions tué tout de suite… Disparait! Quitte cette ville et ne reviens pas. La magie noire n’est pas la notre! »

J’eus envie de lui répondre que j’allais rester : que c’était ma ville. Mais je me tus. La tête haute, le regard menaçant, Je me retransformai en lion avant de parcourir le palais pour quitter par la porte principale : je n’allais pas leur laisser étouffer le scandale par une histoire comme quoi j’étais mort. Bien que j’ignorais ce qu’était un fils de Seth, toute la ville serait au courant que leur héritier en était un. Je m’élançais hors de la ville par les broussailles, et une fois sorti, je me dirigeai vers le nord, longeant de loin le Nil. Quelques minutes après ma fuite, une petite boule de poils blonde se jeta sur moi, clouant mon corps musculeux au sol, par la surprise. Ne fus-je pas surpris de reconnaitre Nei, ses grands yeux gris plongés avec colère dans les miens. D’un geste rapide, je me relevai, la poussant au sol. Le chacal se releva de bon, et posa encore une fois son regard dans le mien, avant de pousser un grognement.

« Je t’avais dit de ne pas leur en parler! Je t’avais dit de ne pas leur dire! Je t’avais dit de ne pas montrer ton don, et toi pauvre imbécile, tu l’as fait! N’es-tu pas capable d’écouter?! »
« Quoi?! Si tu m’avais expliqué pourquoi ne pas en parler je ne l’aurais peut-être pas fait! Si tu avais été clair, au lieu de simplement me dire que c’était contre les règles, je ne serrais peut-être pas exilé aujourd’hui! »
« Tu mets ça sur mon dos? Alors que l’irresponsable crétin dans l’histoire, celui qui est allé tout dévoiler c’est toi, pas moi! Qu’est-ce qui t’as passé par la tête de leur dire que tu étais un fils de Seth?! »

Je reculai d’un pas, j’avais oublié qu’elle savait tout ce que j’ignorais, j’avais oublié que j’ignorais ces choses. La fureur disparut d’un coup de mon regard, laissant place à la curiosité, et dans l’état où j’étais, mieux valait éviter de me mettre quelqu’un d’autre à dos. Mais Nei ne semblait pas partager mon avis car elle continuait de me traiter de tous les noms.

« Nei, qu’est-ce qu’un fils de Seth? » demandais-je doucement
« Tu n’écoute jamais rien et!... Quoi? Oh, un fils de Seth? Tu vois, les fils de dieux sont divisés en deux catégories : Les fils et filles de Râ, ce sont les membres de la famille royale, et les enfants de Seth, des gens comme toi et moi, des égarés. Tu vois, il en existe des plus puissants que d’autres. Toi par exemple, tu dois être très élevé dans cette hiérarchie, ce qui fait de toi une menace pour les enfants de Râ. Les fils de Seth sont désignés comme de la magie maléfique, mauvaise, dangereuse. »
« Mais… je fais quoi alors, où que j’aille on va me traquer. »
« J’ignore si cela peut t’aider, mais il y a un village à quelques journées de marche d’ici, un village que les gens d’ici craint. Va voir, peut-être y trouveras-tu de l’aide. »
« Et toi que ferras-tu? »
« Moi, mon secret est intact, je reste ici. »

Et sans plus un mot, elle se retourna et partit dans les broussailles. Je sentis comme un vide, au fond de moi, autant je pouvais être en constant désaccord avec Nei, autant ça me faisait de la peine de la voir quitter ma vie sans sembler être triste. Une rage sans nom, s’empara de moi, n’étais-je qu’un divertissement de petite durée pour elle? Je soupirai et opta pour une nouvelle forme, moins visible. Aussitôt, je me transformai en chat sauvage, au pelage noir et lisse. Je m’élançai vers le nord, à la recherche d’un quelconque village. Mais au bout d’une heure de course, je commençai à défaillir, rapidement, je trouvai refuge sous une roche plate et me roulai en boule pour quelques heures de sommeil avant de recommencer ma marche le lendemain. Cependant, au bout de trois jours de marche, la fatigue et la faim commençait à avoir raison de moi. Je soupirai de soulagement en voyant un village et m’élançai à toute vitesse vers l’entrée. Le ciel était couvert, prometteur d’orages violents et j’étais heureux d’avoir finalement trouvé ce village. Or, en arrivant au milieu du village, en me retransformant, je me sentis horriblement faible et je m’affalai au sol, évanoui.

« Il se réveille! »

Une voix féminine me sorti de mon état comateux et j’ouvris brusquement les yeux en me relevant d’un bon. Où étais-je? Que se passait-il? Ah oui, le village, l’exil, le fils de Seth… Et mon voyage… La tempête. Je relevais la tête d’un air curieux vers les gens qui, selon les apparences, m’avaient sauvé.

« Où suis-je? »

Et puis quoi encore. Moi j’étais quelqu’un de mauvais? Non je ne pense pas. Je n’étais pas quelqu’un attiré vers la mort, comme Seth. Mais dans notre histoire, dans celle des dieux, Seth n’était-il pas considéré comme le protecteur du soleil, n’était-il pas, farouchement protégé par Râ. Si, il l’était. Donc il ne devait pas être si mauvais, non? Et moi, j’étais comment. Hetsek, c’était quoi, c’était qui? Et bien j’étais quelqu’un de sympa, mais à mes heures. Dans le genre que je crois qu’à ce jour là, loin dans mon passé, je ne connaissais rien du monde. J’étais curieux, dans le genre assoiffé de connaissances. Mais oui, peut-être qu’au fond, j’avais quelque chose de mauvais, car en voyant les yeux dorés de la demoiselle, mon cœur palpita. Pas d’amour. Non. Pas du tout. De haine. De désir. L’envie impossible de détruire cette créature, de la briser. J’vous vois venir là « Oh mais tu le regarde le pervers, l’obsédé qui veut se taper la gentille demoiselle et… » Et bah non! C’était juste pour vous rendre confus. Bon quoi, ce n’est pas qu’elle n’était pas jolie. À vrai dire, normalement, elle aurait plutôt été mon genre. Ah si, j’vous jure. Vous pensiez que je n’avais jamais connu ça, un « sleepover »? Bah voyons. Avec quelques jolies paysannes, une ou deux fois. Ou trois. Faut dire que quand on a mon physique, on n’a pas grand chance d’être seul. Et mon prestige. Prince banni, c’est sexy non? Excitant.

Bref, non cette demoiselle aux cheveux verts me donnait surtout envie de la détruire. D’arrache une a une les magnifiques mèches de sa chevelure de feuille. De briser, tranquillement, ses os. Tous. Un à un. Vouloir la mort de quelqu’un est un crime. J’étais donc si maléfique? M’enfin, en voyant la dame s’en aller, me promettant qu’elle me ramènerait à manger, je souris. Mais la phrase de la jeune fille, ses questions, me rendaient plus que mal à l’aise. Et ma meilleure défense, était de feinter l’indignation, et lui lancer un regard courroucé. Je n’avais pas vraiment envie de répondre, et mon côté arrogant et hautain prenait le dessus.

- Je te signale, pauvre idiote, que tu parles à l’héritier de la famille royale d’Onou, alors soit un peu respectueuse. Tes questions n’ont pas lieu d’être. Je ne te répondrai pas, impertinente. Tu pourrais peut-être te montrer une digne hôte, et au lieu de me questionner, me renseigner. Parle-moi de votre religion, ici. Et puis, je te suggère de faire attention à ce que tu me répondras, je ne suis pas n’importe qui.

Hautain? En effet, mais peut importe.