Fallait pas manger les fraises Tagada de mamie. [Loupiotte]

Le procès est bouclé, la sentence est donnée. Il n'y avait plus qu'à faire son sac, et se préparer.

1840

Aussi vraies puissent être les rumeurs.
Personne n'en savait rien, sauf les jeunes enfermés dans l'établissement. Eux, ils savaient tout. Certains plus que d'autres. Les causes de l'incarcération des jeunes ne sont pas toutes aussi minimes que vol à l'étalage. Certaines histoires sont sombres, d'autres le sont moins. Pour connaître de fond en comble et avec précision les horreurs et punitions données dans le bâtiment, la meilleure personne pour vous renseigner est bien Dante. Ceci est loin d'être son véritable prénom, mais c'est celui qui lui avait été attribué bien rapidement à son arrivée sur les lieux. Ses consonances diaboliques collaient parfaitement au personnage. Il n'aimait pas son véritable nom de toute façon, en fait il le détestait complètement, tout autant qu'il détestait ses défunts parents qui l'en avaient affublé.

Il était arrivé ici à l'âge de 12 ans, pour avoir castré son jeune frère de sang froid, avec un couteau de cuisine. Il semblerait qu'il n'aurait pas uniquement fait subir ce sort à son frère, et que quelques autres y auraient passé aussi, mais faute de preuves, cette "opération chirurgicale extrême", comme il l'avait lui-même appelée à l'époque, avait été la seule mise à son actif. On avait évidemment conclu qu'il représentait un danger élevé. Son emprisonnement dans ce centre de correction n'avait pas aidé les choses. Sa nature violente était loin d'être atténuée par les mesures disciplinaires employées à son égard. Il avait tout enduré, subissant bien plus que de nombreux garçons de la maison. Cela faisait de lui quelqu'un de respecté, de craint. Il adorait d'ailleurs ce sentiment de supériorité, ça avait quelque chose d'exaltant. Cela avait aussi contribué à son succès auprès des quelques filles. Disons que cela, rajouté à son charme naturel et son physique, avouons-le, assez appréciable, avait fait craquer les demoiselles. Il se les était faites toutes les quatres. Bien que les pratiques sexuelles soient interdites. Il n'en a rien à faire, des règles, de toute façon.

- Hey Dante ! Ya de la lumière dans chambre !
- Quoi ?

Il poussa la porte de la chambre qu'il partageait actuellement avec deux autres garçons. Il restait un lit vide, et ce depuis longtemps, et il avait commencé à croire qu'ils restaient 3, ce qui l'enchantait bien. Mais ô comble de malheur, en entrant dans la pièce, le quatrième lit était occupé. Et par qui ? Eh bien... Par une fille. Une jolie meuf qui venait visiblement d'arriver, si l'on se fiait aux bagages qu'elle était en train de défaire.

- Hey ma jolie ! Alors comme ça t'es nouvelle... C'est bien...

Il braqua sur elle un regard de feu. Ses yeux, aussi noirs que la nuit, sondèrent les siens avec une insistance particulière. Notre beau bonhomme se détourna après ce bref examen, jetant un regard entendu aux autres gars. De la bande, il était de loin celui à l'allure la plus rebelle. Bien que mince, il avait une largeur d'épaules bien acceptable et une musculature que l'on pouvait qualifier de "juste à point" sous son t-shirt foncé. Sa façon de s'habiller à lui aussi était différente. Il aimait particulièrement les déchirures sur les pantalons, se créant une nouveau style bien à lui avec un simple couteau de poche. Disons que pour l'époque, c'était assez étrange et mal vu. J'vous parle pas de la façon dont il traitait ses cheveux ! Ils étaient rasés assez courts, et il avait tracé des motifs en rasant des lignes plus courtes encore que le reste. Bref, c'était... Inhabituel. Une chose qui étonnait plus encore, c'était les cicatrices pâles sur sa nuque, qui dataient de l'une de ses punitions particulièrement violentes. Ça n'avait pas l'air de le perturber. Ou alors il n'en disait rien.

- Tu sais vraiment pas sur qui tu es tombée, bébé... souffla l'un des gars en souriant en coin. Et il avait totalement raison. Elle était loin d'imaginer un personnage tel que Dante. Et elle allait en voir de toutes les couleurs avec lui.

Je m'appelle Eirwen. Quels sont vos prénoms ?

Il faut croire qu'elle avait été élevée avec un minimum de bonnes manières celle-là. Elle faisait son lit à la perfection, aucun faux pli. C'était vraiment étrange dans le paysage, si l'on comptait que les lits des trois garçons étaient complètement défaits, et leurs étagères en désordres. Mais soit. Ils ne voulaient être en accord avec aucune règle, et faire leur lit serait de démontrer bien trop de soumission. Non. Ils ne lèveraient même pas le petit doigt. La loi du moindre effort, mesdames et messieurs.

Un éclair de malice passa dans les yeux du ténébreux. Il laissa un court rire s'échapper d'entre ses lèvres, et ses doigts vinrent frôler les draps parfaits du lit qu'elle venait tout juste de faire. Il releva les yeux vers elle.

- Je suis Dante. Lui, c'est Shijo. Père Japonais. L'autre là-bas, qui est déjà sur son lit, c'est Jamal. Il parle presque jamais et il est vraiment casse-pieds. Je crois que c'est parce que jlui ai coupé une couille lors de notre première rencontre. Mais ne le dis à personne... Il est super complexé maintenant.

Un sourire passa sur ses lèvres. Il était bel et bien sérieux lorsqu'il disait ça. Disons que Jamal et lui avaient eu un petit désaccord, pour quelle raison, il ne s'en souvenait même plus, mais il était passé tout près de le dépourvoir d'attribut masculin. On l'avait arrêté à temps... et le pauvre gars était devenu son ami, préférant de loin être ami qu'ennemi, disons.

Dante ? Son père était bourré, quand il avait décidé de l'appeler comme ça ? Cela dit, Shijo, c'était pas mal non plus. Un père japonais en ce beau Pays de Galles. Original. Cela dit, elle pouvait bien causer. Ses yeux légèrement bridés, qui amenait de nombreuses remarques, lui laissait paraître une origine asiatique. C'était tellement rare, qu'elle s'étonnait de rencontrer une autre personne dans sa situation. Puis Jamal. Que des prénoms très gallois, dis donc. Eirwen ouvrit de grands yeux. La surprise passa rapidement, lorsque "Dante" parla de "couilles". Pour laisser place à une autre surprise, qui passa tout aussi rapidement que la première. Elle ne daigna pas faire de remarque. Elle-même n'était pas une personne très bavarde. Eirwen notait cependant tout dans un coin de sa tête. Et elle avait vu que le garçon avait passé sa main sur le lit. Elle n'aimait pas que l'on touche à son lit, ou ses draps. A vrai dire, elle n'aimait pas voir un lit défait. A l'orphelinat, la propreté et l'ordre étaient maîtres mots, et tous avait été élevés dans cet esprit là, même si niveau caractère, c'était un vrai foutoir. Elle était alors un peu dépaysé. Bon, d'accord, elle était carrément maniaque, et voir des affaires traîner la dérangeait.

Aussi, elle reprit d'ignorer les bonhommes, et commença, dans un automatisme, à ramasser les affaires qui traînaient, et plier les vêtements. Dans un murmure, elle souffla aux garçons une petite remarque, par simple politesse.

- J'espère que cela ne dérange personne, si je range un peu.

Ouais. Je vous laisse imaginer l'effet que le vocabulaire du jeune homme pouvait avoir sur les autres, notamment les formes d'autorité. Il utilisait des mots que même les criminels n'utilisaient pas fréquemment. C'était contre la bienséance. Mais lui s'en fichait absolument alors hein... Faut pas le faire chier, il dit bien ce qu'il veut. D'ailleurs, ils étaient tombés sur une femme de ménage ou quoi ? Elle avait quoi à tout ranger comme ça ? Elle était sûrement tombée d'une calèche et un cheval lui avait piétiné la tête, quand elle était toute petite ! Oui, c'est ça ! Nan ? Okay.

- En fait, non. Tu peux ramasser mes trucs. En autant que tout y soit lorsque je vérifierai. Tu chopes un truc pour le garder pour toi, et j'te détruit.

Il avait bien vu les vêtements de garçons qu'elle avait. S'il lui prenait l'envie de lui prendre des vêtements à lui pour les garder pour elle, on ne sait trop jamais avec les folles, il lui couperait bien vite cette envie. Bon bon bon. Que faire de cette charmante journée ennuyante où il était supposé avoir cours, mais auxquels il n'a pas daigné se présenter ?

- Faudra que t'apprenne un truc. Ici, c'est Dante qui mène. Et j'parle pour l'établissement au complet. Si t'as un problème avec quoi que ce soit, si quelqu'un t'embête trop, c'est lui que tu vas voir. Il donne des corrections... presque aussi bien que ces fous qui travaillent ici. D'un autre côté, tu te frotte pas à lui et tu l'respecte. T'aime mieux l'avoir de ton côté que contre toi.
- ...Pas bavarde, hein ?

Ricanant d'un air moqueur, il se décida à lui arracher une réaction, peut-être juste une seule. Il avança donc jusqu'à elle, la bousculant légèrement de l'épaule et attrapant son menton entre ses doigts pour la forcer à le regarder.

Eirwen n'aimait pas les meutes. Elle avait toujours fait cavalier seul, et c'était très bien ainsi. Qui commande, qui fait quoi, elle s'en foutait. Elle n'avait besoin de personne, et ne cherchait à emmerder personne. La seule chose à l'avoir jamais intéressée, c'était son orphelinat, et les gens qui y vivait. Tout comme Mademoiselle Crewe. On lui a souvent dit que les femmes devait se trouver un mari, qui s'occuperait d'elle. Mais Mademoiselle Crewe vivait aux dépends de l'orphelinat, et ne vivait que pour les enfants. Eirwen aussi. Alors les autres, elle s'en foutait. Les règles de la maison, elle s'en foutait. Le Dante, là, elle s'en foutait. Et si ils se foutaient du ménage, alors elle s'en occuperait. Tout ce qu'elle demandait, après tout, c'était qu'on la laisse tranquille. Mais apparemment, ce cher monsieur Dante, qui semblait avoir une certaine autorité, devait en avoir décidé autrement, puisqu'il l'interrompit, alors qu'elle se concentrait sur sa tâche. Le contact lui déplaisait fortement. Il lui releva la tête, la forçant alors à faire attention à sa petite personne. Narcissique, peut-être ? Mais à quoi bon s'en occuper. Il n'allait pas lui tenir le menton toute la nuit.

Aussi se contenta-t-elle d'un regard fuyant, désintéressé, et d'une réponse claire, et sèche.

- Non.

Réponse donnée, bonhomme satisfait, elle attrapa le poignet qui n'avait rien à faire aussi près, et le repoussa avec force. Il n'était pas impressionnant. Elle reprit ainsi son activité, espérant avoir calmé les ardeurs du garçon un peu trop tactile à son goût.

Lorsqu'elle repoussa fortement le poignet de Dante, les deux gars éclatèrent de rire. Seul resta Jamal, étendu sur son lit et obstinément silencieux, à fixer la scène d'un air désintéressé. Du moins, désintéressé jusqu'à ce que Dante décide de pousser les choses plus loin. Si elle le trouvait déjà trop tactile, elle n'en avait pas fini avec lui. Il n'avait absolument aucune morale, et se fichait bien de tout ce qu'on pouvait dire de mal sur ses agissements. Bah. Qu'on lui dise qu'il est le démon incarné, ce n'est pas important.

Ses mains glissèrent sur les hanches de la demoiselle et il se pressa contre son dos avec un sourire narquois, refusant décidément de la laisser continuer son ménage en paix. C'est ça le problème avec lui: Il ne connait pas de limites. Il continua tant que ça lui plait, tant que ça l'amuse, et ce au dépend des autres sans se soucier d'eux. Elle déteste qu'il ne la laisse pas tranquille ? Bah. Pas grave. En autant que lui s'amuse...

- Pas très sympathique non plus à ce que je vois.

Il courrait après les problèmes. Mais c'était la partie la plus intéressante du jeu. Lorsqu'il aurait obtenu ce qu'il voulait d'elle, il s'en lasserait, se désintéresserait d'elle et passerait à autre chose. Mais quand il veut quelque chose et qu'on la lui refuse, ça devient d'autant plus intéressant, et il est loin de lâcher prise, il voit plutôt cela comme un défi à relever. Aussi bien dire qu'il vaut parfois mieux lui donner ce qu'il veut pour s'en débarasser tout de suite.

J'ai précisé précédemment que la demoiselle était pudique. Quand je dis pudique, ça veut dire pudique. Qu'on la touche gentiment, encore, ça pouvait passer. Cela dit, les garçons de l'orphelinat savaient une chose, sur Eirwen : y'avait des endroits où il ne fallait mieux pas s'aventurer, même par pur accident. Ce n'était même pas forcément voulu, mais voyez-vous, elle avait ce réflexe. Aussitôt avait-il posé ses mains sur ses hanches, qu'elle se retourna vivement, pour lui balancer son coude en pleine figure avec violence. Elle ne se choqua pas. Il n'avait qu'à garder ses mains dans ses poches. Elle plongea alors ses petits yeux azur avec une certaine rage, pour répondre à sa remarque.

- Si j'avais été sympathique, je ne serais pas ici.

Ces mots dit, elle se tourna vers les deux autres, avec le même regard, comme un avertissement, des fois qu'ils aient l'idée de tenter leur chance à leur tour.

Quand il disait qu'il voulait la faire réagir, il ne s'attendait pas à recevoir un tel coup de coude. Il recula sous le choc, penchant un peu la tête sur le côté. C'était surtout sa lèvre qui avait encaissé le choc, d'ailleurs elle s'était déjà mise à saigner et peut-être même à enfler un brin. Le coup avait été quand même plus fort que ce qu'il croyait. Cependant, loin de s'offusquer, il rit une nouvelle fois en s'essuyant avec le revers de sa main.

- Oulà, coriace la demoiselle. Ça sera pas du gâteau, les gars. Tant mieux, d'ailleurs. Les autres étaient trop soumises à mon goût.

Il passa sa langue sur sa lèvre ensanglantée dans un geste purement sexy et provoquant. Imaginez, si on avait été des années plus tard, c'aurait été le genre de mec à se promener dans une superbe voiture sport pour faire son frimeur. On voit bien le genre.

- Tu t'es fais péter la gueule par une fille et tu trouve le moyen de dire que t'aime ça ?

Dante tourna la tête. La voix provenait du fond de la pièce. Dire qu'il ne parlait presque jamais, Jamal venait de s'ouvrir la bouche pour lui lâcher une réplique comme ça. Bien que Shoji eut visiblement une certaine envie de rire, il ne passa aucun commentaire et préféra s'attarder à ramasser une paire de chaussettes qui dépassait de son son lit, plutôt que de remarquer le regard froid de son ami, qui n'entendait pas à rire.

- T'as un problème, Jamal ? Je peux te le régler si tu veux...

Sourire carnassier. Ahh... Ça commence tellement bien pour la jeune fille ! Prise avec trois idiots...

La remarque était pour le moins... drôle. Il était drôle de voir un garçon s'amuser d'un coup, et s'offusquer d'une remarque aussi futile. En fait, il aimait les coups. Voilà donc tout le problème de la chose. Il était de ces personnes qui cachent leurs tendances masochistes par un caractère dur. C'était donc cela.

Alors que les deux garçons semblaient sur le point de régler leurs comptes, Eirwen se mit à pouffer doucement de rire. Elle continua à ramasser les vêtements sur le sol, tentant de retenir un fou rire. Très dur. Si dur qu'elle ne résista pas à l'envie. Elle s'écroula sur le sol, et planta son visage dans l'un des t-shirts, pour cacher son éclat de rire. Effort de dissimulation inutile, on devait l'entendre dans tout le dortoir. Par politesse, elle chercha à s'excuser, entre deux rires.

- Je suis... Je suis désolée mais... Ce type est trop marrant !

Bien sûr, elle parlait de Jamal. Dante semblait plus ridicule que drôle. Le fou rire était incontrôlable. Et elle s'étala par terre, respirant difficilement, les yeux trempés par le comique de situation qu'on lui présentait.

- Faut bien qu'un des trois ait le sens de l'humour.
- Ta gueule, Jamal.
- Non, toi, ta gueule, Dante.
- Pardon !? Qu'est-ce que tu viens de dire Shoji !?

Il y eut quelques longues secondes d'hésitation, de silence. Puis finalement, Jamal soupira et retourna à la contemplation du plafond. Shoji leva les mains en l'air, signe qu'il capitulait, et préféra aller ranger ses chaussettes dans un tiroir quelconque. De son côté, notre beau Dante ne chercha pas à poursuivre avec les deux autres et baissa plutôt les yeux sur la demoiselle qui pleurait de rire, écroulée sur le sol. Très crédible mademoiselle. Bravo. Alors elle aimait les types rigolo, ou quoi ? Non, ce n'est pas comme s'il cherchait à lui plaire d'une quelconque façon !

- Lui... Marrant ? Peeh... grommela-t-il à mi-voix en se laissant tomber sur son lit.

Il trouverait bien une façon de parvenir à ses fins sans recevoir de coups de coudes sur le nez. Il allait trouver, oh oui.

Le fou rire passé, Eirwen se releva, et s'essuya les yeux d'un revers de manche, se décidant enfin à plier ce t-shirt. Le bonhomme calmé, elle finit son rangement, et décida de passer aux lits. Elle s'approcha de celui de Shijo, et n'eut besoin que de très peu de temps pour placer les draps aussi parfaitement qu'à son habitude. Puis, elle se dirigea vers le plus proche, celui de Dante, qui occupait le matelas. Un sourire s'afficha, alors qu'elle se remémorait la scène précédente. Comme quoi, il était pas aussi autoritaire qu'il ne voulait le prétendre. Elle posa ses mains sur ses hanches, le sourire levé.

- Tu peux te lever, s'il te plaît, que je fasses ton lit ?

Elle n'en avait que pour trois secondes. Il se lèverait bien. Au pire, elle ferait le lit par dessus.

- Non.
- C'est plutôt bien selon moi. Elle range nos trucs pour nous, gratuitement ! J'sens que je vais me plaire avec elle dans ma chambre...
- ... Tant de gestes inutiles pour un lit qui sera à nouveau défait ce soir. À n'y rien comprendre.

Dante fit l'effort de passer ses jambes par-dessus le rebord du lit. Posant les pieds par terre, il se leva et s'étira longuement, jusqu'à entendre un craquement. Ce n'est qu'à ce moment qu'il soupira d'un air satisfait et plaça ses mains derrière sa nuque en observant la demoiselle faire son lit.

- Ça m'étonne qu'ils ne se soient pas encore rendus compte que l'on est ici, commenta Jamal en tournant les yeux vers la porte.

Ce gars, il est de nature calme. En réalité, il est tout doux, tout calme et ne hausse le ton que lorsque c'est vraiment nécessaire. D'un autre côté, il a un passé sombre dont jamais personne n'a entendu parler. Le centre de correction lui a réussit, il est désormais beaucoup plus correct et ne subit que très rarement des punitions. Même s'il traîne avec Dante, il est loin d'être le plus menaçant des trois. Shoji est plus du style marrant. Celui qui va rire des plaisanteries, en lancer aussi, et faire toutes sortes de constatations inutiles. La raison de sa présence ici est banale, une simple question de paquet de chewing-gum, s'il se souvenait bien. Bref. Y'avait que Dante qui se la joue comme une grosse brute. En vrai... C'est sûrement pour cacher un côté sensible. Ouaiis. Mais qui irait lui dire ça en face ? Personne. Castré à froid, c'pas rigolo du tout. Personne n'avait envie d'essayer.

- Ils le savent sûrement. C'est qu'ils sont à cours d'idées de châtiments à me faire subir.

Eirwen ne chercha pas à comprendre, ou même écouter la conversation des garçons. Une fois les lits propres, la chambre était parfaitement rangée, et largement plus vivable. Elle lâcha un soupir de satisfaction, en voyant son œuvre achevée, puis se tourna vers les garçons. Elle était bien barrée, tiens. Cela dit, son indifférence face à la situation ne lui permettait pas d'être bouleversée par la chose. Non. Cela dit, elle avait une journée à mettre à profit pour découvrir les lieux. Elle pourrait demander aux garçons de l'aider ? Ce serait plus simple que de se perdre stupidement entre les couloirs.

- Dites... Y'en aurait pas un, pour me faire la visite des lieux ?

Elle voulait notamment savoir où ils devaient bouffer, et où elle prendrait ses cours. Ça pouvait toujours être pratique.

- Ouah, tout à coup ça me rappelle que...
- Quelque chose de trèèèès important à faire...
- Peut pas remettre ça à plus tard...

Voyant la façon dont les garçons se trouvaient des excuses pour s'en sauver d'une façon vraiment peu discrète, Dante lâcha un soupir. Il n'avait même pas eu le temps de se recoucher sur son lit, maintenant il n'en avait même plus la chance. S'il n'allait pas lui faire visiter, personne n'irait. En réalité, il venait de penser que ça lui donnerait une excuse pour éviter les punitions cette fois. Il n'était pas en cours, car il faisait visiter l'endroit à une nouvelle. Ça pourrait être plausible. Il désigna la porte d'un léger geste de la main, esquissant un sourire à la fois galant et hautement sarcastique.

- Si mademoiselle veut bien m'accompagner...

Pas comme s'il en avait envie ! Mais il ferait ça rapidement, il n'y avait rien de bien intéressant à visiter ici, en autant qu'elle sache où se rendre pour manger, et où se trouvaient les salles de classe. Le reste, c'était le genre de choses qu'on explorait lorsqu'on avait réellement rien à faire. Des couloirs interminables et souvent inutiles. Bref il lui ouvrit la porte, la laissant passer devant, avant de sortir à son tour.

Quelle bande de feignasses ! Eirwen posa ses mains sur ses hanches, observant, un peu blasée, les deux garçons sifflotant innocemment qu'ils ne voulaient pas bouger leur cul. Les gentlemans se perdaient. Quelle triste société c'était. Il fallait quoi, pour être un peu aidée, ici ? Une robe à froufrous et un décolleté aguicheur ? Elle fut cependant surprise que le petit dur à cuir accepte de lui faire la visite guidée. Elle suivi donc le mouvement, et dépassa Dante, avant de l'attendre dans le couloir.

- En fait, je veux juste voir le réfectoire, la salle 7 et les douches.

Elle se démerderas bien pour le reste, en temps voulu.

Le jeune homme prit les devants, se retournant l'espace de quelques secondes pour lui rétorquer:

- Ça tombe bien, je n'avais pas l'intention de t'en montrer plus.

Il prit d'abord la direction du réfectoire. C'était la pièce la plus près de leur emplacement actuelle, et sûrement la plus intéressante. Bien que la nourriture qui y est servie soit parfois inmangables, c'était l'endroit où il y avait le plus d'action. Laissez-moi vous dire qu'une salle remplie de garçons potentiellement dangereux pour la société, ça peut faire bien des dégâts. Malgré la discipline que les surveillants essayaient de faire, c'était peine perdue. Et alors là bonne chance pour distribuer les punitions si une trentaine de gars sont impliqués !
Arrivés là-bas, il lui montra l'intérieur de la pièce. C'était complètement vide à cette heure-ci.

- Alors voilà c'est ici. T'es mieux d'arriver tôt si tu veux pas bouffer assise par terre. C'est toujours plein.

- Au pire, ça ne me changera pas beaucoup.

Eirwen mangeait rarement à table. Elle ne mangeait pas toujours non plus. Il y avait beaucoup d'enfants, à l'orphelinat. Et pas forcément assez de nourriture. Et si elle réussissait bien à grappiller un quignon de pain en journée, elle préférait laisser les véritables repas à ses cadets, et se contentait des restes, qu'elle mangeait debout en cuisine. Alors bouffer assise par terre, c'était limite du luxe.
La jeune fille balaya la salle du regard. Il était drôle de voir que les délinquants avaient de meilleures installations que les orphelins.

Elle se posta devant la salle, s'étonnant de pouvoir y entrer. Laisser un réfectoire libre d'accès, tout de même, c'était un peu la porte ouverte aux conneries. Quoique, ils devaient sûrement tous être en cours, là. D'ailleurs, lui, là, qu'est-ce qu'il foutait ici ? Excellente question. M'enfin, tant qu'elle pouvait voir où se situaient les endroits importants... Cela dit, si on en croyait les rumeurs, il y risquait, à ne pas agir correctement. D'ailleurs, ces rumeurs...

- Au fait, c'est vrai que les surveillants sont des psychopathes ?

Bien sûr, si elle avait écoutés les discussions des trois garçons, elle aurait pu y deviner la réponse, mais vous savez, Eirwen, elle un chouia dans sa bulle. Cela dit, c'était par simple curiosité, et l'idée que les racontars soient vrais ne semblait pas l'inquiéter outre mesure. La demoiselle ne connaissait pas l'appréhension. Ce n'était que confrontée aux faits qu'elle pouvait paniquer, stresser, avoir peur et autres folies.

Il haussa les épaules à sa première remarque et s'approcha simplement d'une table sur le bord de la porte, et passa son doigt sur une sorte de marque, comme une incision. Dante sourit alors très légèrement.

- Il faut faire bien attention où on s'asseoit, aussi. À mon arrivée ici... Je m'étais installé juste ici. Mais c'était la place d'un gars, celle où il s'asseoyait tout le temps. Il m'avait écrasé le nez sur la table et planté son couteau juste à côté. Bon, il l'a regretté ensuite, mais laisse-moi te dire que... C'est violent, un simple déjeuner, ici.

Il se détourna tranquillement et sortit de la pièce en lui faisant signe de le suivre. Juste comme il s'apprêtait à aller lui montrer les douches, qui étaient non loin, elle lui posa une question à laquelle il éclata de rire.

- Psychopathes ? Tu es gentille avec eux ma foi. Crois-moi, ils sont encore pire que ça.

Il releva légèrement ses cheveux à l'arrière de sa tête, frôlant du bout du doigt les nombreuses petites cicatrices pâles sur sa nuque, qui semblaient laisser croire qu'il avait eu la peau du cou déchiquetée à coups de couteaux. C'était sa cicatrice la plus visible, la plus impressionnante, et il s'en servait chaque fois qu'il devait démontrer à quel point les punitions ici étaient exagérées et données par des êtres complètement cinglés et sans coeur.

- Tu vois ça ? Et c'est pas le pire. Ils sont encore plus dangereux que nous, dire que c'est nous qui sommes enfermés...

Eirwen ouvrit de grands yeux, devant les nombreuses petites cicatrices, typiques d'un couteau. Les cicatrices, c'était son petit kiff, à elle. Elle en était elle-même couverte. Les orphelinats peuvent être cruels, vous savez. Elle voulut voir de plus près, et s'approcha du dos du garçon, écartant un peu mieux ses cheveux d'une main, pour presque y planter le nez.

- Fais voir, annonça-t-elle, visiblement passionnée, C'est vrai qu'elles sont jolies, celles-là. Ça a du faire foutu mal, c'est des tarés.

Elle disait cela avec un certain sourire. La demoiselle en avait vécu des belles, elle aussi. Et d'une manière ou d'une autre, elle voulut le montrer.

- Tu veux voir un truc ? Moi, j'ai mieux.

A ces mots, elle tira sur sa manche, pour passer son épaule droite dans le col de sa chemise, et la rendre de manière largement visible. On pouvait visiblement constater trois petits traits distincts, qu'elle pointa d'un doigt.

- Tiens, regardes ça. Trois coups de couteaux plantés dans l'épaule. Y'en a même un qui est ressorti de l'autre côté. Un miracle qu'on est réussit à me rafistoler. C'était un taré le type, à tous les coups je vais le retrouver ici. Ça serait pas plus mal, j'ai pas eu l'occasion de lui rendre.

Dante se laissa faire, acceptant le toucher de la main de la jeune fille dans ses cheveux. Elle se rapprocher si près qu'il sentit son souffle chaud effleurer sa nuque lorsqu'elle observa ses cicatrices. C'est vrai qu'elles étaient plutôt jolies. Bien que sur le coup ça ait fait un mal de chien, maintenant il aimait bien qu'elles soient là. Ça lui faisait des blessures de guerre à exhiber pour clouer le bec à certains et charmer certaines autres. Relâchant ses cheveux, elle recula et découvrit alors son épaule. Il se retourna, et posa les yeux sur les petites cicatrices avec un sourire. Dit donc, elle était plus... moins... Disons qu'il n'imaginait pas cette fille comme ça. Elle était différence de ce qu'il pensait.

- Ouah, plutôt joli ça aussi. Si tu le revois ton gars, je me ferai une joie de lui faire sa fête. Enfin, s'il reste quelque chose de lui après que tu sois passée.

Il eut une sorte de sourire un peu épeurant, celui d'un psychopathe qui prendrait plaisir à torturer une pauvre victime sans défense. Hum. Jolie comparaison. Il lâcha finalement l'épaule de la demoiselle des yeux pour recommencer à marcher, les douches n'étaient pas bien loin, ils étaient presque arrivés. Il s'arrêta devant celles-ci.

- Garçons à gauche, filles à droite.

Eirwen remonta son col, fière d'avoir exhibé sa belle épaule. C'était signé une p'tit nouveau à l'orphelinat. Un dérangé, pour qui l'on avait pas jugé bon de l'amener à un médecin avant de l'envoyer en société. Après avoir vu crever ses deux parents. Il avait quoi, le gars ? Treize ans, et elle quatorze, à l'époque. Comme quoi, c'était un milieu qu'elle connaissait déjà.

Ils arrivèrent aux douches, et la demoiselle constata avec effroi qu'il s'agissait de douches communes. C'était abusé. Ils avaient trois salles de bains à l'orphelinat. Malgré le monde, tout le monde ne se lavait pas tous les jours, donc c'était suffisant, et il y avait un minimum d'intimité. Non, elle ne voulait pas se retrouver nue devant les autres filles. Elle préférait autant puer à cinquante kilomètres à la ronde. Oui, oui. Très, très pudique.

- Et... heu... genre, y'aurais moyen d'y accéder à un horaire où il n'y a personne ? Parce que là... ça va pas être possible.

- Bah là. Vous êtes juste 5 filles, ça devrait pas être bien compliqué. Viens tôt le matin ou tard le soir. Ou alors parfois, on a des périodes libres, mais c'est pas tout le monde en même temps, ça dépend de notre horaire de cours. Tu devrais pouvoir venir à ces moments-là, aussi.

Il se retint quand même de lui préciser que parfois, même des gars osaient aller du côté des filles pour se laver puisqu'il n'y avait jamais grand monde et que du côté des hommes c'était souvent bondé. Mais bon. Ça, elle le découvrirait assez vite par elle-même, au pire si elle lui reprochait, il n'aurait qu'à dire qu'il n'avait pas pensé à ce petit... détail. M'ouais. Enfin c'est pas bien grave, elle aurait suffisamment le temps de se laver toute seule. Pudique la demoiselle en tout cas.

- Puis si ça fait pas, tu leur dit de dégager, ou tu vas chercher un gars pour qu'il vienne faire semblant de se laver, elles vont se dépêcher un peu plus, crois-moi. On a déjà essayé. C'est bien beau mater, elles ont peur qu'on leur saute dessus alors elles se sauvent pas mal vite.

- Elles se sauvent ? Personnellement, je lui fais bouffer son savon, au type. Cela dit, les virer, c'est pas une mauvaise idée.

Quelle idée. Aller dans les douches des filles. Les hommes, je vous jure. Eirwen haussa les épaules. Elle se débrouillera bien, de toute manière. Et c'était hors de question qu'elle se douche nue devant d'autres personnes. Elle jeta un dernier œil distrait aux douches, avant de se tourner à nouveau vers Dante.

- La salle 7, maintenant, c'est par où ?

Il fallait tout de même savoir qu'elle essayait, en même temps, de mémoriser les couloirs. La blague. Eirwen était capable de se perdre entre les tomates et les pommes de terre, dans le potager de l'orphelinat. Potager d'environ quinze mètres carré.